Guéret, Mazille et l’immeuble qui chante

Adeline Guéret et Marie Mazille (photo Benjamin Bultel – Le Crieur de la Villeneuve)

« Sortez la tête de vos balcons, de vos fenêtres / A la verticale, à l’horizontale, chanter entre voisins, c’est pas banal ! / Marre de France Info, du corona en boucle à la radio / On préfère chanter Les noces de Figaro ou Bella Ciao ».

Objectivement, le bâtiment est tout moche. Mais, ici comme ailleurs, la beauté cachée des laids se voit (et pour le coup s’entend) sans délai… Du reste, la fresque qui en est faite et orne la couverture du digipack (voir ci-dessous) le magnifie déjà. Nous sommes dans un HLM de Grenoble. Qui plus est en plein(s) confinement(s) : un premier, un second, un troisième… De la verticale à l’horizontale vivent ici des gens de toutes sortes, dont certains sont artistes, pros ou amateurs peu importe. Des chanteurs, des graphistes, peintres, photographes ou typographes… Un confinement peut produire de drôles d’effets, comme celui, à l’insu des pères fouettard que sont Darmanin ou Véran, de s’ouvrir plus encore vers l’autre. De produire du sens, de produire du son… De produire des idées, et les réaliser. Comme ce projet qui, au bout du compte, voit naître ce disque, un des disques majeurs, hors majors faut-il préciser, de cette année, un des plus beaux qui soient.

Sur une trame la plupart du temps traditionnelle, c’est à dire inspirée des chants et musiques traditionnelles, dans un art citoyen de proximité et d’implication qui n’est pas sans faire songer à celui pratiqué par les Fabulous Trobadors, Moussu T e lei Jovents et d’autres, Adeline Guéret (chanteuse et cheffe de chœur) et Marie Mazille (chanteuse, compositrice et multi-instrumentiste, qu’on a souvent vu aux côtés de Gérard Pierron) font miel de l’actualité vécue au plus près (le confinement et ses conséquences sanitaires, économiques et sociales). Elles (et leurs voisins) font en acte de création, acte politique s’il en est. « Maudit gouvernement […] N’as-tu jamais entendu / Dans cet immeuble rouge orange et jaune / Les chants et les doux rires / Aux fenêtres des voisins […] Tu casses la santé / Plus de lits / Plus de réanimation / Sabotage dénoncé / Depuis des générations… »

Cet album fait suite aux 47 « concerts aux fenêtres » du 170 galerie de l’Arlequin à la Villeneuve de Grenoble pendant le premier confinement. Comme la bande originale de ce drôle d’« immeuble qui chante » avec, en bonus, un enregistrement antérieur de La paysanne de Gaston Couté, hymne « révolutionnaire » magnifié par les langues (d’habitants de l’immeuble) qui s’y additionnent : mots en français, en peul, en arabe littéraire, en persan et en malgache : « En route ! Allons les gâs ! / Jetons nos vieux sabots / Marchons, marchons / En des sillons plus larges et plus beaux ! »

Cette chronique des confinements est bien plus qu’un témoignage : c’est une création forte, qui plus est fortement agréable à nos oreilles. Loin des privilégiés alors confinés avec jardin et piscine, il y eut d’autres confinements, plus à l’étroit mais aux cœurs qui battent plus fort encore, qui s’ouvrent à l’autre, aux autres. Cette œuvre, qui associe une foule de gens et fait « rêver les hymnes alternatifs », est d’un optimisme fou. Ça peut devenir, le savez-vous, l’une des pièces les plus importantes de votre discothèque.

Adeline Guéret et Marie Mazille, A la verticale à l’horizontale, autoproduit 2021. On peut commander cet album ici.

« Tousse dans ton coude » :