Du blues le long de l’échine : Alain Ortéga et le Modjo Band
Veynes, arrêt Quai des Arts, un certain vendredi 24 septembre au soir : plongée dans une torpeur sans fin à peine camouflée par le fameux masque, j’ai quelques doutes sur le potentiel du groupe programmé en ouverture de Chantons sur le Quai à réveiller mes sens.
Le groupe en question? Alain Ortéga, « bourlingueur de la chanson », plus connu dans le milieu blues – celui-ci s’est ainsi vu qualifié de « renouveau du blues français » lors de la sortie de son titre Le nouveau monde – que celui de la chanson. Alain Ortéga, donc, et le Modjo Band ou les six musiciens hors pair qui partagent la scène de son dernier album For Sale Sad Blues, « rencontres improbables » venant de genres et générations, le band en question allant de vingtaine à soixantaine !
Bien que début dans la douceur, dès les premiers riffs, les yeux se décollent : Ortéga et son Modjo Band envahissent la pénombre d’une ballade électrique qui lance la couleur?; accents outre-Atlantique sur paroles souvent mélancoliques : bien sûr, c’est blues, bien sûr c’est folk?; mais c’est aussi des paroles trempées d’une douce mélancolie d’une énergie musicale électrisante.
« Tous les soleils défaits / qu’elle allumait / parmi les fleurs étranges »
De loin comme ça, dans le bleu des projos, Alain Ortéga semble l’archétype du rockeur au grand cœur : de noir vêtu, petit anneau d’or pirate à l’oreille gauche, tendresse dans regard et paroles.
Entre heurs et malheurs du temps et décors de départ, ses chansons manient en effet surtout et beaucoup l’amour – dans ses tourments, ses courbes, sa violence et son sensuel, de rimes suivies en rimes embrassées. Avec un tel thème, toujours facile de se planter. Mais là, surprise : pas de mots mous, trop faciles ou éculés.
« Il y a des mots qui s’accordent / Ceux qui te font perdre la boule »
S’il y a d’ailleurs une chose à retenir de la chanson d’Ortéga et du Modjo, c’est la manière dont mots s’accordent, ou oserais-je dire la manière dont mots se marient à sons.
Dans une chanson sur le temps qui fuit – « Sur toutes les comètes j’ai tiré des plans / je me croyais maître du temps », voilà que la pulsation du batteur Philippe Jardin, aussi batteur de Lavilliers, frappe le tictac de ce temps qui s’écoule. Dans un hommage rock à Rimbaud ensuite, le mystère de sa fuite en Afrique est saisi par le violoncelle classique du jeune Aurélien Nowak, en des intervalles orientaux, exotiques, d’un voyage sans retour épousant le propos « Quitter tous les paraître / De l’impasse des postures / Aux ivresses d’aventure / Quitter / Poser tes larmes au soleil ».
La voix elle-même d’Ortéga est instrument au grain grave, comme celle d’un Léonard Cohen parfois, dont les mots viennent se nourrir de chacune des couleurs des six musiciens : envolées saxo d’Alexandre Lantiéri, chaleurs et flottements à la Paris Texas dans les slides de Jean-François Boulade, poigne joyeuse de Flore Galais à la contrebasse… si ses chansons « foutent le frisson » comme s’exclame réjouie une spectatrice, ce n’est pas pour rien!
« Et chaque instant / présent s’envole »
Le concert s’achève sur grand classique blues outre-Atlantique, You gotta move de Fred Mc Dowell, premiers amours d’Alain Ortéga qui dit d’abord avoir « plongé dans le rock, le blues et le folk avant de découvrir la force des mots » sur sifflements de joie fusant dans la salle et furieux rappel.
Alors qu’extraits virtuels m’avaient peu convaincue, voici que je ressors de cette belle scène électrisée, comme d’ailleurs les autres spectateurs : « réjouissant », évoque un autre spectateur tandis que d’autres applaudissent ses interprétations de Brel, La chanson des vieux amants bien sûr, et un déchaîné Amsterdam. Bref, électrification garantie avec ce dernier opus d’Alain Ortéga et le Modjo Band!
For Sale Sad Blues, le 5e opus d’Alain Ortéga est sorti en mai 2021. Pour en savoir plus sur lui, sa page facebook c’est ici !
Et pour les entendre en live : Alain Ortéga et le Modjo Band sera en concert le 6 décembre à Aix-en-Provence au 6 Mic. Sinon, ce sera peut-être en Bretagne, nouvelle terre d’élection de l’artiste…
Le nouveau monde, en concert 2020
Amsterdam, en concert 2016
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