Thomasi, au bal des amis
C’est un bel album noir au livret jaune indispensable : les écrits de Thomasi sont délectables, faits d’une poésie à la Prévert, à la Doisneau, disait son ami Claude Astier qui a été un peu aussi son mentor. Cette poésie éternelle des caboulots, des coins secrets sous les tonnelles de ce Paris côté Est romantique et canaille à la fois, la casquette de Gabin, le swing à la Sakarine… Sur la couverture, il n’a pas placé son portrait , mais celui d’un couple pittoresque dansant au Bal du Marché-couvert du Pré Saint-Gervais, dans cette commune bucolique qui garde le souvenir de son passé ouvrier.
Thomasi, c’est une sensibilité à fleur de peau, des souvenirs d’enfance et de jeunesse qui se déclinent avec nostalgie au long d’une douzaine d’adresses, un univers marqué par des départs d’amis chers qui l’imprègnent de mélancolie. L’album est en effet dédié discrètement au chanteur Claude Astier, et au contrebassiste Hervé Verdier, qui avait arrangé trois de ses albums. C’est la comédienne et chanteuse Dominique Mac Avoy, la compagne de Claude Astier, qui dit le très beau poème de Thomasi Impasse de la Vayssière, souvenir d’un été méridional parfumé de thym, peuplé de chats dans la sérénité de siestes où l’on lit Proust et écoute Chopin… Mais la chanson titre, Putain d’anges, chantée avec Madjid Ziouane (Mon côté punk), est paradoxalement sereine et joyeuse, la plus swingante de l’album, malgré sa désillusion « Dans le jardin d’Eden, Adam tond le gazon / Pour vendre à la découpe un bout de paradis », sans doute par « le plus grand des plaisirs / Celui de s’estimer et les autres avec soi ». Ce compagnonnage qui rend hommage à un Jojo à rebours de celui de Brel, « En attendant frèrons, Jojo / Puisque t’es pas mort ». Thomasi partage la composition avec Benjamin Guidelet, qui a composé quatre titres dont Champagne, qui donne la parole à … une coupe. L’album se caractérise par la richesse et la variété de ses univers jazz, réunissant en un beau panel d’artistes guitares, mandoline, clarinette, trompette, trombone, flûte traversière, basses et percussions africaines, piano, rhodes et synthé, de l’afro au manouche, du Nouvelle – Orléans au latino, du jazz à la java et au swing.
Mais Thomasi, c’est aussi une empathie pour les solitaires et les mômes perdus qui se retrouve dans chacun de ses albums, pour les oubliés aussi, avec alors cet implication réelle qui ne se résume pas à un tract politique. Au contraire il a l’art de l’exprimer d’une façon pudique mais incisive « Le courant du périphérique / Brasse l’acier et la fumée / Dans cette forge qui ne fabrique / Que des visages entrecoupés », et parfois, de déclarer forfait, dans une mélancolie vibrante : « Le vent, la pluie, la trouille et moi / On s’est arrangé comme on peut / Mon courage s’endort parfois / Devant la télé comme un vieux », ou de s’excuser de ses trahisons, les « cadavres dans le placard » « tapis dans le noir ».
« Loosers magnifiques, dépressifs mondains », fait-il partie du Tristesse club en manque d’amours mortes ? « Les plus anciens font les présentations / Et gardent leur cœur brisé sur la main / Pour les plus jeunes novices en pendaison / Qui n’y connaissent rien en nœuds marins ».Thomasi a des larmes en dedans, mais il sait aussi chanter la vie et la fantaisie, déclarer son amour en couleur à son fils Milò, ou à sa belle en une sensualité tendre et jardinière, « Je t’aime comme tout un jardin botanique (…) Je te touche de nacre et tu me chromatiques », où remontent des souvenirs d’enfance « Je suis Martin Squelette et toi les Chiche Capon »*. N’hésitant pas à personnaliser les seins de son aimée, rivaux et inséparables, sous les noms d’Hector et Berlioz dans une symphonie qui ne peut être que fantastique.
*Personnages imaginaires du film Les disparus de Saint-Agil, rêvant d’aventures en Amérique, NDLR
Thomasi, Des putain d’anges, 2020, produit par Serge Vilamajó, studio Kalima’s dream. La page facebook de Tomasi, c’est ici. Pour se procurer l’album sur son bandcamp, là. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, là.
L’album enregistré fin 2019, sorti en février 2020 n’a guère pu être défendu sur scène ; allez voir Thomasi en concert samedi 25 septembre 2021 à la Comédie Nation, 77 rue de Montreuil Paris XIeme
Des putain d’anges clip
Jardin botanique clip
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