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Serge Lama, voilà ce que c’est qu’être star

415ltiiDaNLFrédéric Quinonero, nous l’aimons bien, à NosEnchanteurs. Biographe prolifique de chanteurs et chanteuses populaires (Sardou, Birkin, Bruel, Johnny, Sheila…), il n’a pas son pareil pour nous faire revivre la carrière de ceux et celles qu’il a pris sous sa plume. Déjà, élément ô combien appréciable en ces temps de perpétuels ragots, il s’attache avant tout à l’aspect artistique de la vie de son sujet, ne s’attardant sur les aspects privés que le temps nécessaire à la bonne compréhension des chemins empruntés. Une pudeur et un refus du sensationnalisme qui l’honorent. Aidé d’une documentation phénoménale, dans une langue précise et claire, il nous emmène à la rencontre de l’artiste disséqué, en retraçant son parcours de manière exhaustive, esquissant au passage un fin portrait psychologique. Du travail d’orfèvre, aussi instructif que passionnant à lire.

Après un magistral Dutronc l’insolent paru en mars, le revoici dans les étals avec un ouvrage consacré à un autre monument de la chanson française, Serge Lama. Déjà ? Qu’on se rassure : c’est la parution retardée du premier (because le vilain virus) qui nous vaut cet embouteillage, et non un empressement à occuper le terrain, avec la baisse d’exigence et de qualité que cela supposerait. Car, disons-le d’emblée, ce livre est une nouvelle réussite à mettre à son actif, qui redonne de l’éclat à un chanteur passé de mode et provoque une furieuse envie de se (re)plonger dans son œuvre.

L’événement déterminant de la vie de Serge Lama a très certainement été le terrible accident de voiture dont il fut victime le 12 août 1965, qui emporta son chauffeur (le frère d’Enrico Macias) et sa fiancée- pianiste accompagnatrice Lilian Benelli (pour laquelle Barbara écrira en hommage La petite cantate). Serge Lama en réchappa de peu et dut entamer un long et douloureux travail de rééducation pour retrouver l’usage de ses jambes, ce qui explique d’ailleurs sa démarche si caractéristique. Une épreuve dont il sortit vainqueur, animé qu’il était d’une rage de vaincre sans égale.

lamaEn bon metteur en scène, s’inspirant peut-être de Claude Sautet et de ses Choses de la vie, Frédéric Quinonero ouvre son livre sur cet événement fondateur. Le Lama que l’on connaît, qu’on aime ou qu’on déteste, vient en grande partie de là : cette ambition affichée, cet appétit de la vie, cette soif de reconnaissance, cette volonté de réussite…, autant de caractéristiques exacerbées chez ceux qui ont conscience d’être des survivants et n’entendent plus gaspiller une miette d’existence. La rage de vivre est le judicieux sous-titre du livre.

L’auteur nous fait revivre par la suite le parcours du chanteur débutant, ses premiers succès, le triomphe du « disque rouge » (Je suis malade) qui l’imposa, les marathons scéniques inédits qu’il remporta, son épopée napoléonienne, sa parenthèse théâtrale et télévisuelle, son éclipse médiatique, commune à bien des artistes de sa génération… Une carrière exemplaire, au succès public jamais démenti, dont on ne peut qu’être admiratif. Les nombreux témoignages recueillis par le biographe (les musiciens Jean-Claude Petit, Nicolas Montazaud, Sergio Tomassi…, les collègues Marcel Amont, Marie-Thérèse Orain, Gilles Dreu ou Agnès Soral…) dessinent en outre le tableau d’un homme généreux, attentif aux autres, à l’écoute de son entourage, d’une sensibilité bien éloignée de l’image matamoresque qu’il a pu dégager.

Frédéric Quinonero n’en reste pas moins critique du personnage, soulignant la misogynie dont son œuvre regorge (bien que Lama s’en défende), ses maladresses médiatiques (son fameux passage au Jeu de la Vérité de Sabatier, qui le catalogua définitivement « chanteur de droite »), son orgueil assumé, sa tendance à parfois s’abandonner à la gauloiserie facile pour récolter le succès populaire (avec sur ce sujet une intervention de notre collaborateur Michel Trihoreau) …

Aujourd’hui, à 78 ans, Serge Lama a annoncé vouloir abandonner les tournées, n’ayant plus l’envie ni la force de vivre ces déplacements incessants. Un nouveau disque est annoncé en 2022, avec peut-être une scène parisienne à la clé. Il peut en tout cas être fier du chemin parcouru, lui qui s’était juré de venger son père, chanteur de talent que le succès n’aura que frôlé, forcé d’abandonner les planches pour se reconvertir dans une occupation plus lucrative (réécoutez Le temps de la rengaine, à la veine autobiographique). Reste sa frustration que son talent d’auteur ne soit pas davantage reconnu. Il est vrai que le formidable interprète qu’il est a probablement masqué le poète délicat qu’il peut être aussi. Comme si la douce Ballerine ne pouvait faire le poids face aux imposantes P’tites femmes de Pigalle.

C’est aussi le mérite de ce livre que de pousser le lecteur à redécouvrir l’œuvre de Serge Lama, à la recherche des multiples perles nichées dans son répertoire. Mission accomplie pour Frédéric Quinonero.

 

Frédéric Quinonero, Serge Lama. La rage de vivre, l’Archipel, 2021. Ce que NosEnchanteurs a déjà dit de Serge Lama, c’est ici ; ce que nous avons dit de Frédéric Quinonéro, c’est là.

 

 TROIS QUESTIONS À FRÉDÉRIC QUINONERO 

(photo source Wikipédia)

(photo source Wikipédia)

N.E. : Pourquoi avoir choisi d’écrire sur Serge Lama ? Est-ce une volonté de réhabiliter un chanteur populaire mais en fin de compte mal connu ?

Serge Lama a vraiment une œuvre que je voulais défendre. Il faut dire qu’il s’est lui-même tiré des balles dans les pieds, en se répandant sur des sujets sans qu’on le lui ait demandé. Par exemple, il n’avait pas besoin de s’exposer politiquement comme il l’a fait, ou de donner son opinion sur les femmes… Tout cela a nui à une bonne appréhension de son travail, qui se suffit pourtant à lui-même. Je voulais mettre en exergue ses grandes et belles chansons, qu’on ne le limite plus à ces chansons écrites pour être populaire. C’est une erreur de croire que le public attend de lui des « Femmes femmes femmes ». Je crois qu’il attend davantage qu’il lui chante « La vie lilas », ou tant d’autres plus sensibles.

Les chansons de Lama passeront-elles à la postérité ? Il est très peu repris et rarement cité dans les influences. Les jeunes ne savent même pas qu’il existe. Son œuvre ne risque-t-elle pas de tomber dans l’oubli ?

S’il doit rester quelque chose, je crois que ce seront justement ses chansons en demi-teinte. Ce sont dans celles-là qu’on peut le retrouver. Serge Lama, c’est fondamentalement un chanteur triste. Pour comparer, et après avoir disséqué les deux, je peux dire que Jacques Dutronc est quelqu’un de très drôle, c’est un personnage un peu cynique, qui manie sans cesse l’ironie. Ma biographie de lui est empreinte de cet humour-là. A l’inverse, Serge Lama est souvent sérieux, sans distance, très premier degré. C’est certain que « Je suis malade » lui ressemble davantage que « Le gibier manque et les femmes sont rares » !

Maintenant, qui peut dire ce qu’il adviendra ? Aujourd’hui, un gamin de 18 ans peut-il citer trois titres de Brassens ? J’en doute. Une des rares qui reste connue, c’est Piaf, parce qu’on nous bombarde ses chansons dans toutes les émissions type The Voice. « Je suis malade » restera probablement, pour ces mêmes raisons puisque les plus jeunes croient désormais que c’est une chanson de Lara Fabian. Mais le reste, va savoir…

Le public de Lama d’aujourd’hui est le même que celui d’il y a 30 ans. Les chansons qu’on connaît de lui datent des années 70. Aucun de ses disques depuis les années 80 n’a donné lieu à un tube, comme il en était coutumier auparavant. Que lui a-t-il manqué pour passer les générations ?

C’est quelque chose que j’explique dans le livre. Napoléon ne lui a pas rendu service. Ça a été un très gros succès, qui lui a pris six ans de sa vie. Le piège, c’est qu’il n’a fait que ça pendant tout ce temps. En plus, le personnage de Napoléon est lui-même sujet à polémique, ce qui a déteint sur lui. Le timing n’était pas bon non plus : en pleines « années Mitterrand », allez intéresser une jeunesse qui se libère de tant d’années de pouvoir de droite avec une histoire de Napoléon ! Ajoutez son « Jeu de la vérité » désastreux, auquel il n’aurait jamais dû participer, et le résultat est là : Lama a totalement loupé cette jeunesse-là. Il n’a bien sûr pas pu récupérer les suivantes. Depuis les années 90, Serge Lama a un public vieux. Et ses albums, qu’il s’agisse de « Feuille à feuille » ou des suivants, n’ont plus jamais rencontré le succès de ceux des années 70.

Cela dit, quelle que soit la période, Lama a toujours été avant tout un artiste de scène, comme Bécaud pouvait l’être. Et dans les années 90 et suivantes, il a fait de magnifiques concerts, où il interprétait ses titres avec beaucoup plus de retenue, dans des versions musicales revisitées. Jamais il n’a démérité sur cet aspect.

 

« Je suis malade » : Image de prévisualisation YouTube

« Ballerine » : Image de prévisualisation YouTube

Une réponse à Serge Lama, voilà ce que c’est qu’être star

  1. Eric Audibert 22 septembre 2021 à 13 h 31 min

    « Lama n’a pas fait de tube depuis 30 ans »… ben oui les radios comme les TV ne programment plus de chansons nouvelles depuis 1990, et ça ne concerne pas que Lama: certaines « légendes » (Aznavour, Gainsbourg, Reggiani, Barbara, Nougaro…) ont sorti des créations pour certains jusqu’aux années 1990, 2000 voire 2010, et tous leurs tubes, cherchez bien, remontent aux années 1960-1970… La marasme est vaste!

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