Rémy Tarrier nous emballe sur son vélo
« Elle est où la chanson qui console
Qui accroche à ton cou des lucioles (…)
Celle qui d’un seul accord te soulève
et dépose un refrain sur tes lèvres »
Cette chanson là, Mesdames et Messieurs, que Nicolas Duclos nous pousse de sa voix douce, vibrante, elle est là qui s’envole, et bien là, tout au long de ce double album.
Un soir de l’automne 2020, Rémy Tarrier a commencé à répéter des chansons avec ses deux acolytes préférés, l’accordéoniste, guitariste et chanteur Olivier Philippson, et Jean Dubois, ce chanteur pianiste, guitariste, harmoniciste, discret et chaleureux, celui de l’album Chansons pour les gens, aussi à l’aise en folk song qu’en chanson poitevine ou française, de Brassens à Leprest ou à ses propres créations. C’est ainsi qu’est né un premier CD chanté par Rémy, arrangé par ses musiciens qui jouent aussi les chœurs. C’est la première roue du vélo qu’a toujours dans la tête Rémy, « Un vélo que l’on partage ». Il y reprend deux anciennes chansons, Flâner, « l’âme légère / Tourner au coin / De son destin / Sans y penser » de son album de 2017, et le Loto, une de ses toutes premières chansons. Tarrier a la mélancolie joyeuse, l’œil coquin et satirique, le sens de l’observation des petites gens qui mettent tout leur espoir dans le hasard, et le deuxième, voire le nième degré qui donne la poésie la plus inattendue ou la clé de l’humour fin, avec ses chutes délectables. « Cinquante ans de loto ouais le temps a passé / J’écoute la radio juste avant de clamser / J’ai les six numéros ! non venez me pincer / J’aurais dû jouer plus tôt… ma date de décès ».
Les autres, inédites, parlent des jours de la semaine qui se répètent, des amours persistantes ou finissantes, avec tendresse, et toujours cette façon de faire danser les mots pour cacher les blessures, (se) redonner le sourire (c’est le champion de l’autodérision), nous persuader que tout n’est pas si grave « C’est la fin des abricots / Cett’ fois les marottes sont cuites / C’était nos derniers bécots / On se lèch’ra plus la frite ». Avec le temps son humour s’est affiné jusqu’à devenir de la dentelle. Capable de donner une âme même à son ordinateur, qui la rend, l’âme « Il a craché ses logiciels / Il n’en foutait plus une rame / Et rêvait d’un joli ciel / Comme il y en a en fond d’écran ». Ou détaillant les réactions chimiques déclenchant le désir et l’amour telles que les décrivent les magazines scientifiques, et pourtant contraint de conclure loin de la chimie : « reste… euh ! … je t’aime ?! »
Rémy Tarrier n’est plus le saltimbanque qu’on l’a forcé à incarner, il sait aussi s’attaquer aux sujets plus graves, décrivant avec autant de poésie que de réalisme les jours perdus du détenu à Fleury-Mérogis, ou dressant le scénario impeccable de ce drame « Le soleil qui s’égare / Un baiser d’amour noir / La couverture en or / Qui recouvre ton corps (…) Schizophrénie / Quel joli nom / saigne la pluie / Sur le béton / Il avait des hauts et des bas ».
Et puis le confinement s’est prolongé, le triangle s’est mué en cercle, « dans le respect total des « gestes charnières » : se réunir, s’écouter et partager ». Et vient ce deuxième CD, « sur le porte-bagage ». Les CD jouent les roues de vélo, les noms des amis chanteurs font les rayons. Au milieu se déplie le beau dessin de Claude Gaisne, un accordéon emmanché d’un long cou qui fait des pieds et des mains pour se payer une tête de guitare… Sur la couverture un puzzle de têtes de mouflets, des bébés aux quelque huit ans, qu’importe, c’est « Cet enfant qui n’a pas d’âge », chanson titre tendre et nostalgique du voyage de la vie, « Passé comme un nuage » interprétée par Eric Guilleton.
Rémy Tarrier est un scénariste hors pair, toujours surprenant, capable de nous situer un film avec quelques mots qui se culbutent, et quel plaisir de trouver de nouveaux acteurs qui répondent aussi bien à sa mise en scène. C’est pur bonheur que réentendre Juste une chanson avec les deux voix de Jean Dubois et Armelle Dumoulin qui se répondent harmonieusement sur les notes du piano : « La la la juste une chanson vivante / Un air d’étoile filante / Ovniprésente » ou Mon gilet jaune, par la même Armelle, qui nous rejoue un scénario de rencontre romantique impossible, le Gilet jaune et la stagiaire de BFM , « dans la chaleur du brasero », sur un tourbillon populaire d’accordéon.
Olivier Philippson, lui, chante la rencontre des deux voisins qui ne se voyaient pas, et que le confinement a fait se rencontrer : « Ils ont partagé le four / Les baisers les calembours / Mélangé la nuit le jour / Et le jardin et la cour ». Et pourtant pas de happy end : « Et tous les héros utiles / Retrouvèrent l’anonymat » et même « Confiné et confinette / Se sont aimés dans ma tête / Je piétinais en baskets / La queue d’un super market ».
Rémy nous refait une apparition avec une amoureuse trop pressée, sa « Comète de Halley », et laisse aux autres le plaisir de faire vivre ses chansons.
Alissa Wenz prend l’amour au pied de la lettre en duo avec Philippson. Léo Varnet, le chanteur-accordéoniste du duo l’Herbe tendre et scientifique dans le civil, pousse jusqu’au bout l’univers absurde à la Boris Vian de Quelqu’un de mesuré, qui contrôle et surveille tout dans sa vie jusqu’à en craquer « Et j’me suis fait sauter l’caisson / Je vois mon âme prendre l’échelle / Et le croque-mort mes dimensions ».
Tarrier junior, Marco (la relève est assurée) conclut l’album avec sensibilité sur Il chante. Une sorte d’inventaire de tout ce qui fait qu’on aime la chanson, qu’elle fait partie intégrante de notre histoire d’humains, et que loin d’être inutile, elle nous est essentielle : « Ce chemin qui serpente / Cette fleur insouciante / Que des choses importantes ».
Soulignons enfin le travail des musiciens qui ont conjugué leurs talents pour enrichir sans lourdeur l’univers poétique, drôle ou mélancolique de Tarrier, en faire un des indispensables de votre discothèque : les chanteurs déjà cités, et aussi Wilfrid Touati à l’accordéon et Benjamin Chabert à la basse. La belle équipe que voilà pour nous hisser sur le podium un gilet maillot jaune. « Je prends tout ce qui vient / Tout ce que la vie donne », chante Duclos. Nous aussi.
Rémy Tarrier et son cercle d’amis artistes, « Cet enfant qui n’a pas d’âge », 2021. Enregistré à Montreuil par Marcel Merino : prise de sons et mixage. Conception pochette Florence Ducellier.
Pour se procurer l’album et voir les dates de concert, le site de Rémy Tarrier, c’est ici. Pour l’écouter, sur son Soundcloud.
Et encore : La page facebook de Jean Dubois. Le profil facebook de Nicolas Duclos. D’Armelle Dumoulin. D’Eric Guilleton. D‘Olivier Philippson. De Marco Tarrier. De Léo Varnet. Le site d’Alissa Wenz.
Ce que NosEnchanteurs avons déjà dit de Rémy Tarrier. De Jean Dubois. De Nicolas Duclos. D’Armelle Dumoulin. D’Eric Guilleton. D’Alissa Wenz.
Retrouvez Armelle Dumoulin mardi 21 septembre 2021 avec Antoine Sahler au Théâtre Lepic Paris XIIIeme, sortie de « Brise vitrail » ; Au Connétable à Paris 3eme, Jean Dubois samedi 25 septembre avec Stéphane Cadé, et Rémy Tarrier en trio les 13 et 20 octobre ; au Forum Léo Ferré FLF à Ivry, Alissa Wenz & Olivier Philippson les 8 & 9 octobre pour « Je pense encore à vous », et Rémy Tarrier avec Jean Dubois & Olivier Philippson le samedi 20 novembre. D’autres dates sur le site de Rémy Tarrier.
On espère vite de nouvelles mises en vidéo des titres de ce double album, et en attendant on réécoute ces deux-là :
Juste une chanson, Armelle Dumoulin & Jean Dubois
Que faire pour les riches
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