Folies mémorielles
Il y a peu, pour pouvoir honorer au plus haut niveau un trépassé, il fallait s’inscrire dans une telle forêt de règlements et de protocoles qu’en comparaison l’Amazonie nous semblait être une serre municipale.
Est-ce d’avoir célébré ad nauseam le bicentenaire de la mort de l’empereur que l’idée lui est venue ? Toujours est-il que, du haut de son Olympe élyséenne, seul Jupiter a désormais droit de vie et de mort sur le devenir des dépouilles frappées de célébrité.
Bébel meurt qu’aussitôt on lui fait un hommage national, qui plus est aux Invalides, lui l’éternel cascadeur du grand écran. Le méritait-il ? Au moins, Delon et Bardot savent le sort qui leur sera bientôt réservé. J’imagine déjà la bande-son lors de l’hommage à notre BB : « Tu les trouves belles mes fesses ? » L’autre Brigitte en sera meurtrie…
Reconnaissons que le métier de saltimbanque a bien changé : pour avoir refusé de signer une renonciation à sa profession de comédien, Molière ne pouvait être enterré en terre consacrée. Aujourd’hui, on célèbre Belmondo avec faste, à la manière d’un héros. « Poussez la toile et entrez donc vous installer / Sous les étoiles le rideau va se lever / Quand les trois coups retentiront dans la nuit / Ils vont renaître à la vie, les comédiens » chantait Aznavour qui, lui-aussi, connut il y a peu l’honneur d’un hommage national aux Invalides et du rituel discours du président Macron.
Les paris sont ouverts sur qui seront les prochains « invalidés », les prochains « panthéonisés ». Populaires ou non, les hommages seront de toute façon populistes, flatteurs aux électorats. Qui de la résistante ou de la chanteuse nue à ceinture de bananes honorera-t-on dans quelques semaines au Panthéon ? Soyez sûrs qu’il y en aura pour tout le monde.
C’est bientôt les érections. On érige donc. Des hommages nationaux pour les uns, municipaux pour les autres. Notre Johnny a déjà eu son lot d’hommages conséquents, souvent aux frais du contribuable, mais ça ne suffit pas. Anne Hidalgo, qui se lance à l’assaut de la forteresse élyséenne, se doit d’inaugurer à tout va. Tiens, une « esplanade Johnny-Hallyday » devant Bercy (une statue dédiée à un grand évadé fiscal en face du ministère des finances, ça confine au gag !). Au centre, une statue. On a rarement fait aussi moche : une Harley-Davidson perchée en haut d’un manche de guitare. La démagogie est sans limite, impudique et vilaine : si au moins Christo avait rhabillé d’un de ses saints-suaires le défunt…
Il faut célébrer dans la surenchère et j’ai dans l’idée que, si la faucheuse se met de la partie, nous aurons prochainement d’autres belles pages people enchâssées dans leurs planches de bois…
Il y a peu, j’ai assisté à une inauguration, toute simple, sans chichi ni blabla, sans horde de serviles journaleux, sans nul paparazzi : celle du « Chemin Anne-Sylvestre » à Saint-Julien-Molin-Molette, dans le Pilat. Quelques centaines de mètres – point trop n’en faut pour celle qui disait ne pas aimer les grandes balades –, un chemin de terre et de cailloux, bordé de coquelicots, des jardins potagers, d’anciennes usines dont il ne reste que les hauts murs et le murmure des bis-tan-claques. Quelques chansons bien sûr, une tristesse muée en joie, celle de célébrer humblement une très grande dame de la chanson, une amie. Dans cette cambrousse, pas de politiques en campagne : rien que de la sincérité, rien que de l’amour.
Je partage (sans réseau social) tout ce que tu as écrit).
On vit (peut-être pas longtemps) une époque formidable. Hidalgo pour son passage aux 30km/h a bien prétexté une raison écolo…pollution…et des centaines de grosses motos pétaradaient pour l’inauguration…
La statue est à chier. C’est une pub pour un revendeur de Harley ?
Et le machin blanc, un château d’eau tronqué ?
J’y crois pas…