John Trap, cinéma en V.F.
« Le tout-venant a été piraté par les mômes. Qu’est-ce qu’on fait ? On se risque sur le bizarre ? ». Quoi de plus approprié que la réplique de Francis Blanche dans Les Tontons flingueurs pour ouvrir la chronique d’un album sortant des sentiers battus et intitulé Cinéma ?
Son auteur ? Le breton au pseudo américain John Trap (Thomas Lucas, de son nom de baptême), 49 ans au compteur, dont c’est le sixième album, mais le premier en langue française. Un vrai pari : franchir la frontière, laisser tomber ses défenses et oser l’émotion nue du chant dans sa langue natale. Pour notre grand bonheur.
On parle ici de chanson dans la marge, bien sûr, celle qui fait tenir les pages ensemble (dixit Jean-Luc Godard). L’album paraît sur le label qui a le plus beau nom du monde : « L’Église de la petite folie ». Tout un programme ! A la tête de celui-ci, Arnaud Le Gouëfflec, artiste multiprise (romancier, journaliste, musicien, chanteur, scénariste de bandes dessinées, auteur de théâtre…), qui a d’ailleurs collaboré à deux titres de l’album. Un label où souffle le vent de la création.
Douze chansons en liberté, donc. Qui vont du morceau efficace à même de devenir un tube alternatif (la rythmique entêtante de Brûle) à la rêverie poisseuse (La neige nous mangera), du rock saignant (Carburateur) à la chanson narrative (Katell), du parler-scander énergique (Des lumières dans les bois) à la pop guillerette (Crois-moi sur parole)…
Un disque riche, foisonnant, à entrées multiples, qui n’entraînera pas forcément toujours l’adhésion, mais qui, à coup sûr, ne laissera personne indifférent. Difficile de ne pas être ému par l’histoire de Katell, jeune villageoise contrainte de garder secret son amour pour ses pareilles, ou de ne pas sourire à cette drôle de déclaration d’amour qu’est Crois-moi sur parole, toute en rimes en « ole » (ce qui nous vaut l’évocation des films de Dominik Moll et de la pipe de Claude Chabrol !). Les amateurs de Philippe Katerine apprécieront également La fille du chasseur, qu’on croirait issue de sa plume. On saluera enfin la force de l’ultime chanson, Qui c’est qu’est tombé, qui débute comme une gaudriole (« Qui c’est qu’est tombé / Dans la fosse à lisier ? ») pour révéler son sens tragique petit à petit : le purin n’est pas celui que l’on croyait au départ.
Cinéma n’est pas un blockbuster, un de ces disques lisses conçus pour plaire à tous. Il relève du cinéma d’auteur, celui qui prend les chemins de traverse, maladroit parfois, toujours sincère. Il ne matraque pas de messages, n’a pas de thématique tranchée. Il puise sa force dans la nostalgie de l’enfance, la fougue de l’adolescence, les impressions fugaces. Rêverie, énergie et sourire s’y affrontent, sans vainqueur à l’arrivée.
« Tiens, vous avez sorti le vitriol ? ». Peut-être trouverez-vous en outre que cet hétéroclite Cinéma a un goût de pomme. Il doit y en avoir quelque part !
John Trap, Cinéma, L’Église de la petite folie/Modulor, 2021. Sa page sur le site de son label, c’est ici.
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