Gilles Vigneault, voyage en son pays
Vaste pays que celui-ci, immense artiste dont l’œuvre prolifique et multiple est à sa dimension ! Ce coffret que nous offre EPM – bien que copieux (quatre disques pour quatre-vingt chansons) – ne saurait pleinement rendre justice à celle-ci mais il est l’occasion d’un parcours dans cet univers riche et foisonnant, autant de balises et de jalons sur ce chemin posés habilement par Christian de Tarlé avec la complicité de Michel Kemper, un carnet de route entre musique et poésie, un album d’images, de paysages, de portraits. N’ayant ni les compétences d’un encyclopédiste ni l’âme d’un hagiographe, je n’aurai que le regard candide d’un simple voyageur entre humilité et émerveillement devant cette grande figure de la chanson francophone, l’envie de vous faire partager quelques émotions, quelques impressions.
Il me revient le souvenir de ce spectacle que nous avions organisé avec Chant’Essonne en 2002 dans le cadre de sa tournée française. Je revois cette silhouette dont les bras en d’amples mouvements me faisaient songer à l’envol d’un bel oiseau, à la voilure d’un grand bateau, une envergure de géant ainsi que celle du légendaire Jos Montferrand, « le cul su’l’bord du cap diamant / les pieds dans l’eau du Saint-Laurent ». L’essentiel est là, tout est dit ou presque dans cet échange imaginaire avec cette figure mythique : « Si tu veux faire un vrai géant / Va boire à même dans la rivière / Assieds toi sur les montagnes / Puis lave-toi dans l’océan / Essuie-toi avec le vent / Éclaire-toi avec la lune / Dors les pieds su’l’bord d’la dune / Et puis la tête au bout du champ… » Gilles Vigneault s’est incarné dans cette contrée souvent évoquée, rarement nommée, et ne cesse de la chanter, d’en dire la rudesse mais aussi la douceur, la chaleur humaine (Mon pays), un pays qui n’est pas une patrie mais reste à prédire, à comprendre, à changer (Il me reste un pays) et qu’il nous fait parcourir de forêts en villages, de lacs en rivages, d’hiver en été.
Mais que seraient ces paysages s’ils n’étaient peuplés et c’est une multitude de personnages qui sont dans ces chansons convoqués, une pléiade d’existences modestes façonnées par le temps et les saisons, d’humbles métiers : prospecteur, pêcheur, marin, facteur… Zidor qui perd son or aux cartes, Jean du Sud marchant sur les étoiles de mer, Jos Hebert qui, avec ses chiens, convoie les lettres d’amour, Berlu qui vit à crédit et en rit. D’autres font écho aux fractures de la société, Tit-Nor dont le village a fermé et qui découvre chez le notaire « qu’au bout d’nos vies on était pas chez nous » et Tit-Cul la chance le chômeur, salutaire révolté, annonçant la tempête. Il y a enfin ceux dont le cœur est brisé : Jack Monoloy, l’indien, qui se noie dans les rapides, interdit d’aimer une blanche, Gros Pierre, risée du village, mort d’amour pour Laurelou attirée par l’éclat de la ville.
Voilà autant de destins tragiques, d’humaines tragédies sur lesquels il porte un regard bienveillant, plein de douceur et de tendresse, exempt de cynisme, rarement désabusé, parfois amusé, lucide en toute circonstance : « Tout l’monde est malheureux / Tam ti delé dilam / Tout l’monde est malheureux tout l’temps / Tout l’temps », constat empreint de tristesse contrastant cependant avec le rythme du verbe, cette gigue des mots qui leur donne espace et légèreté, cette danse tout à la fois remède à la peine, moment d’oubli et lien social (La danse à Saint-Dilon), cette danse qui est au cœur de l’œuvre de Vigneault, son essence même : « Si on voulait danser sur ma musique / On finirait par y trouver du cœur / Y aura toujours un pas sur ma musique / Car c’est mon cœur qui danse à l’air du jour / Ah! si vous voulez danser sur ma musique / Il vous suffit d’en écouter les mots » (Tam ti delam). Une alchimie de mélancolie et d’allégresse que l’on retrouve aussi dans les innombrables chansons d’amour, dans ce doux chagrin qui dit la difficulté d’aimer, dans cette évocation de la mort si intimement liée à la passion amoureuse (Quand vous mourrez de nos amours).
Les yeux de Vigneault sont baignés de mer, de rivières, de ciel irisé d’aurores boréales, et lorsque il fait parler son cœur, c’est pour offrir le bleu d’un lac. Omniprésente, la nature est au centre de sa poésie, qu’elle soit métaphore, envolée lyrique ou célébration, elle est son terreau, sa source, son souffle, sa vie même. Le vent le porte sur son grand cerf-volant, il invoque la chanson de l’eau, donne tout leur sens à des gestes simples (J’ai planté un chêne). Rien d’étonnant alors qu’il s’insurge contre le sort infligé à notre planète (J’ai mal à la terre) et nous appelle à l’entendre : « C’est le temps, c’est le temps / D’écouter la rivière / C’est le temps, c’est le temps / D’écouter cet oiseau / Tant qu’il reste de l’air dans l’air / Tant qu’il reste de l’eau dans l’eau ».
Oui, c’est le temps d’écouter Vigneault, ses chansons qui, par delà des milliers de kilomètres, nous semblent si familières. Il y a là-bas un peu de nos racines, de nos traditions orales et musicales, de notre histoire, de notre mémoire et surtout de notre langue qui se bat pour survivre. Gilles Vigneault chante son pays et c’est aussi le nôtre. Nous sommes aussi les Gens du pays ! « Gens du pays, c’est votre tour/ De vous laisser parler d’amour… »
Gilles Vigneault, Mon pays, Compilation EPM/Les éditions du vent qui vire 2021. Le site de Gilles Vigneault, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit, c’est là.
Très bel article sur le géant qu’il est tant par la qualité de son œuvre que par sa dimension humaine…à titre personnel, comme Brassens il m’a offert des repères depuis toujours .
L’hommage de Fred Pellerin est magnifique.
Merci Francis d’avoir dit l’essentiel de ce ce grand monsieur