Véronique Pestel en son pays d’Aragon
Aragon et la chanson, c’est une longue histoire déjà. Selon notre âge, notre connaissance de la chanson, on associera au poète (qui, si on en croit la chanson, a toujours raison) Brassens [1], Ferré, Ogeret, Morelli, Martin, Solleville, Sauvage, Colombo, Ferrat, Utgé-Royo, Léotard, Cisaruk, Verdier, Benin, Bezriche, Cali et autres encore.
La liaison de Véronique Pestel et de Louis Aragon n’est pas à proprement parler un scoop, que d’ailleurs aucune gazette à grand tirage ne reprendra. La dame de Haute-Savoie le chante comme elle respire « mais ce fut d’abord le souffle coupé que j’ai tenu dans mes mains, à 15 ans, debout au milieu de la librairie, le Nouveau Crève-cœur et le Roman inachevé. Pourquoi avais-je pris ces deux livres ? Peut-être avais-je entendu Ferré, Ferrat, Hélène Martin, Marc Ogeret… ? J’aimais la chanson, tout entière, de ce jour j’ai appartenu à celle-ci : la chanson littéraire. Et j’ai vite rejoint la nuée d’oiseaux grappilleurs en cette vigne prodigieusement complexe qu’est l’œuvre d’Aragon. »
J’ai lu il y a peu, non sans sourire, que Véronique Pestel était la fille de Ferrat (on avait dû la confondre avec Estel !) mais, à écouter ce très bel album, je m’imagine qu’elle ne peut-être que celle d’Aragon, illustre héritière du paternel, soucieuse de cet enivrant et si poétique patrimoine. Car toujours Pestel a dans sa besace un peu de lui : dès son premier album (La parole de l’autre, il y a trois décennies) elle enregistrait La complainte de Pablo Neruda (qu’elle reprend d’ailleurs ici, dans une version quasi intégrale, contrairement à celle de l’ermite d’Antraigues). Et trois saisons durant, avec Magali Herbinger et Bernard Vasseur, elle tourna son Caf’conf Aragon, par bonheur fixé sur un album. Dans ses propres vers comme dans ceux de ses auteurs de prédilection, le littéraire imprègne la chanson de Véronique Pestel. C’est dire si elle ne peut qu’aimer le compagnon d’Elsa.
On sent le bonheur, l’aisance, la volupté de la chanteuse d’aborder les rives d’Aragon, d’explorer ses terres, d’y ensemencer ses notes… De textes déjà superbes faire naître un tel bouquet de chansons où Pestel apporte en dot son talent de compositeur et le charme de sa voix… Elle caresse les mots, les accompagne, les magnifie ; le timbre fait ponctuation, personnifie les pleins et les déliés du verbe. Les textes ne sont pas faciles, qui ne s’offrent pas entièrement dès la première écoute, mais Véronique est sage-femme, sage-mots, qui les aide à naître à nos oreilles.
Aux musiques, chant et piano : Véronique Pestel ; aux instruments, Michel Geyre (piano) et surtout Patrick Brugalière aux arrangements, accordéons, claviers et programmation, enregistrement et mixage, homme-orchestre s’il en est. Complicités récompensées par ce remarquable résultat, ce superbe album.
Véronique Pestel, Mon Aragon, JC Barens éditions & productions 2021. Le site de Véronique Pestel, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit d’elle, c’est là.
[1] La première chanson tirée d’une œuvre d’Aragon fut celle de Brassens, Il n’y a pas d’amour heureux, en 1953.
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