Yves Duteil en liberté : l’entretien !
« Pour écrire une chanson, attrapez un courant d’air avec un filet à papillons. Mélangez-y quelques terrifiants pépins de la réalité. Égouttez la violence du propos pour en sublimer la douceur. Laissez s’évaporer l’amertume et séchez un peu, le temps de vous relire, émincez quelques phrases pour écrire moins gras, accompagnez d’un peu de grave, servez frais dans un vers de huit pieds, faites rimer le parfum de l’aventure avec le charme de l’inattendu. Laissez bouillir d’impatience, faites revenir un sentiment d’inachevé, ajoutez un grain de folie, une pincée de sel de la vie, versez une larme de joie et décorez le tout d’un supplément d’âme. Ce serait si simple s’il y avait une recette. Mais il n’y en a pas. Je sais désormais que la poésie n’est pas faite de jolis mots, mais de mots justes ». Yves DUTEIL (extrait de Chemins de liberté)
NOSENCHANTEURS / Robert MIGLIORINI : Un livre (Chemins de liberté), un coffret, avec le même titre, de 4 CD, est-ce une première pierre pour marquer vos cinquante ans de carrière qui se profilent ?
Yves DUTEIL : Pas exactement. Mes cinquante ans de chansons donneront lieu à d’autres initiatives. Avec cet ouvrage qui vient de paraître, je souhaitais finalement mettre en perspective notre vie avec mon épouse Noëlle, lui rendre hommage sans attendre. Je commence par lui adresser une déclaration d’amour. Comme l’ont fait avant moi des écrivains comme Christian Bobin (La plus que vive) ou Jacques de Bourbon Busset (Lettres à Laurence). Tout le livre aurait pu lui être consacré ! Noëlle est au cœur de toutes mes chansons. Nous sommes deux sur notre bateau. Rêvant le monde plus beau qu’il n’est, pour qu’il le devienne. Une autre perspective s’est peu à peu imposée : évoquer la création artistique qui a accompagnée notre vie, avec ses épreuves et ses joies. Et puis j’ai décidé d’évoquer toutes les rencontres qui nous ont marqués. De René Barjavel à Félix Leclerc, Barbara et tant d’autres. Et en avançant dans l’écriture nous avons constaté combien chacun de ces moments trouvait un écho dans mon répertoire. D’où l’idée de sélectionner au final 75 chansons dont certaines peu connues du public. Non sous la forme d’une simple compilation mais avec des nouvelles versions pour certaines. C’était ainsi une façon d’en partager quelques clés de lecture avec le public. Au final, tout s’est concrétisé très vite. Sans préméditation. Finalement j’ai écrit ce livre comme une chanson. Sans trop savoir au départ où cela me conduirait.
C’est un retour apaisé sur votre parcours commencé avec un premier contrat d’artiste chez Pathé en juin 1972 et votre chanson fétiche « Virages ». Oubliées les polémiques ?
Je n’ai pas compris pourquoi j’ai été parfois la cible de certaines critiques. Je rappelle quelques séquences dont celle de la distinction en 1988 ( en tant que plus belle chanson du XXème siècle) de « Prendre un enfant » . Face à des réactions parfois violentes j’ai dû me forger une cuirasse comme je le raconte dans mon livre. Le jeune artiste au talent prometteur s’était mué en punching-ball pour certains professionnels de la dérision comme je les nomme. Rien de tout cela au regard de l’accueil de ce nouveau livre et du coffret. Les tirages dépassent nos prévisions. Le regard sur l’artiste que je suis a donc changé. Je ne peux que m’en réjouir. Le temps a fait son œuvre. Ce que l’on me reprochait hier, le choix de la douceur pour dire les choses, c’est ce dont on me gratifie aujourd’hui. La période de sortie de confinement que nous vivons en est peut-être aussi la cause.
Vous assumez mieux le succès depuis ?
A mon tour je me propose de transmettre ce que j’ai reçu en posant un regard panoramique sur la course poursuite unique en son genre qui a été la mienne depuis mes débuts. J’assume le succès qui est le mien. Je suis sorti des autoroutes de ce métier pour tracer mon chemin singulier. C’est ainsi que j’avais décidé d’être légitime face à ces premiers succès. Les combats et les causes se sont enchaînés. De la liberté du peuple tibétain à l’éducation au poste de maire. L’artiste a aidé le citoyen.
Parmi ces causes figure en bonne place la promotion sinon la défense de la chanson francophone et de la francophonie. Où en est ce combat pour la langue française ?
Le combat n’est jamais terminé depuis la sortie de « La langue de chez nous » en 1985 et distinguée depuis. Le combat du Français pour sa survie est celui de toutes les langues menacées par l’hégémonie d’une seule. Le Français a des supers-pouvoirs. C’est la langue de l’immatériel, de la poésie, du sentiment, de la diplomatie. Je rappelle dans mon livre que la main de Félix Leclerc avait guidé ma plume, et que l’encrier avait été cette journée de l’hiver 1984 que j’avais partagée avec lui sur l’Île d’Orléans, face à la ville de Québec. Cette chanson a marqué aussi un tournant dans ma carrière.
Comment l’artiste Yves Duteil a vécu ces temps de pandémie et de confinement ?
En cherchant, notamment, des solutions nouvelles pour répondre aux défis posés par cette période. Comme d’autres j’ai mis en ligne quelques vidéos enregistrées avec peu de moyens. Pour garder le lien avec le public. En même temps j’ai estimé que cela conduisait à une sorte de « médiocratisation » du métier. Avec l’idée que chanter face à la caméra d’un smartphone serait la formule. Or cette période nous oblige à imaginer des nouvelles formes de professionnalisme, tout en tenant compte des contraintes actuelles. Il faut que nous puissions faire notre métier en grandeur nature. Même si la voilure est réduite. Cela dit nous sommes une profession fragilisée. Plus encore aujourd’hui qu’hier. C’est le moment de reconstruire et de retrouver un équilibre désormais menacé. Ce n’est pas seulement une question d’argent mais de principes. Pour résumer la révolution en cours, avec Internet nous sommes dans la situation inédite où l’on aurait ouvert tout le réseau routier à la circulation, sans le code de la route qui va avec. Il faut redonner de l’espérance aux artistes.
Vous avez écrit de nouvelles chansons durant cette période ?
J’ai toujours besoin d’un certain recul. Comme pour la chanson sortie en 1997 évoquant Dreyfus. Trouver les mots justes me demande des mois. J’admire celles et ceux qui comme Louis Chedid, par exemple, qui ont pu écrire à destination des soignants. Pour ma part l’artistique n’est pas juste le prolongement de l’actualité. Et pour cela je cultive l’humilité, le respect. Comme le dit l’écrivain que j’aime citer dans sa prière d’adieu , Gabriel Garcia Marquez, un homme n’a le droit d’en regarder un autre de haut que pour l’aider à se lever. Ce qui est guidé par le respect (chanson de 2018) . Ce mot qui signifie second regard.
Alors Yves Duteil (71 ans) pense-t-il à Duteil futur vieux chanteur ?
La chanson est une arme de réunion massive qui conduit au concert. Je n’imagine pas abandonner de sitôt. Les nouvelles versions de mes chansons montrent que l’on peut revisiter sans cesse le répertoire et trouver un écho. Et comme l’a dit jadis Félix Leclerc « Ce n’est pas parce que je suis un vieux pommier que je donne de vieilles pommes ». Tant qu’il y aura de la vie, il y aura des sujets pour des chansons. Alors fêter mes 100 ans de chansons ? Pourquoi pas (rire) ! Et puis comme je l’écris encore : « créer l’émotion est un geste d’artisan qui se travaille toute une vie durant pour trouver son accomplissement dans un savoir-faire minutieux, qui efface le labeur au profit de la beauté. »
Le livre : Chemins de liberté. 50 ans de chansons : les souvenirs d’un homme de paroles. Éditions L’Archipel, 240 p., 20 €. Le site de L’Archipel, c’est ici.
Le coffret : Chemins de liberté, les chansons du livre. 4 CD, 75 chansons dont 16 versions inédites (enregistrement en public ou en studio) Bayard Musique/ Believe/L’écritoire.
Le blog « A part » d’Yves Duteil, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
Bel interview. Yves Duteil n’est pas seulement un grand artiste, mais aussi une personne de grande intelligence.