Éric Mie : rock n’vosgitude
C’est le disque dont il est le plus fier, « celui qui ressemble le plus à l’idée que je me fais d’un bon disque, et j’ai mis neuf disques et trente ans de carrière pour y arriver ». Comme si Mie achevait sa mue pour enfin se révéler tel qu’il est, tel qu’il pense, tel qu’il chante. Jusqu’au prochain, qui forcément sera mieux encore.
Disons-le tout de go, ne tournons pas autour du pot : ce CD ne peut passer inaperçu à qui s’intéresse à la chanson, à plus forte raison s’il a déjà goûté la mie de son pain. C’est de l’Éric Mie et c’est du bon.Un Mie qu’à l’évidence on a connu bien plus drôle qu’ici, tant qu’on l’a peut-être trop hâtivement mis dans la case des « chanteurs rigolos ». Alors qu’il colère bien plus qu’il ne rit. Là, le chant et le son deviennent plus épais encore, comme le trait du dessinateur qu’il est par ailleurs. Sombres aussi.
« Dans le cœur des chômeurs de la métallurgie / Tous aux mêmes demeures : modestes aux murs gris / Des prolos qui pataugent dans la bue des flaqu’s d’eau / Sous le ciel gris des Vosges qui blanchit leurs manteaux… »
C’est du rock qui ne badine pas, presque un son de métallo justement. Comme le cri d’une douleur sourde…
« Faites une prière / Pour le paysan / Car sa femme hier / A foutu le camp / C’est sur sa jument / Qu’elle s’est enfuie / Rejoindre un amant / Rejoindre l’oubli ».
Ouvriers et paysans, même combats, même défaite. Dans une indifférence coupable. Ce que chante Mie vaut éditorial, chroniques impliquées rédigées à l’encre couleur rouge. Pour mieux encore dénoncer, le Vosgien qu’il est regarde autour de lui : son chant c’est du vécu, qu’il exprime ici comme l’auraient fait François Béranger ou Neil Young, en des cordes nerveuses, électriques.
Comme il est dit que la chanson engagée n’existe plus, ce disque n’aura aucun horizon médiatique d’importance : les programmateurs n’écouteront pas ce bijou d’orfèvrerie qu’est Rural. Treize titres qu’on tiendra pour photographies du monde d’avant. D’avant la totale désertification rurale, d’avant qu’explose la vieille centrale nucléaire de Cattenom, d’avant l’éradication du travail.
Ce disque est grande colère. Que, même le Cœur en balade ou Les pieds ballants en bas rayés de Pomme, l’héroïne nue d’Éric Mie, ne peuvent balayer, même avec la grâce qu’on lui sait.
« Je n’ai jamais rêvé de pouvoir ni d’argent / Être vivant suffit à ma passion profonde / Le progrès n’est là que pour asservir les gens / Ce sont les ambitieux qui détruisent le monde » Mie est d’une toute autre ambition : celle d’avoir témoigné, d’avoir dénoncé, d’avoir publié. D’avoir fait aussi et surtout un superbe album.
Éric Mie, Rural, Claouns/La Pigne 2021. Le site d’Éric Mie, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
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