Olivier Eyt, concerto pour piano en dix moments de vie
Olivier Eyt, après un passé de comédien, pianiste, accompagnateur, grand bien lui en a pris, a choisi de développer ses talents d’écriture. Personnelle et simple à la fois, réaliste avec ce qu’il faut de distance pour se moquer de lui-même et des autres, travaillée – cuisinée, dit-il – vers une épure qui coule naturelle, en images qui passent de nos oreilles à notre projection intérieure. « Moi je me fais du cinéma », disait Nougaro. Et toujours ces talents de mélodiste et d’interprète, de ce piano-voix qui affûte le sens des mots, réchauffe le cœur, fait danser les sentiments. Ce fut Tout seul tout nu, en 2017.
En parallèle il s’est baladé quatre ans avec son seul piano à travers chants, se confrontant aux plus grands de la chanson française, Vian, Trenet, Gainsbourg, Souchon, Higelin, Nougaro, Fersen… tous ceux qui joignent un grain de folie à la plus fine poésie. Histoire de rôder son expérience du spectacle et de s’ancrer plus profond dans le patrimoine de la chanson qui nous est chère.
Mais dans ce nouvel album Eyt n’est plus tout seul. Bien au contraire, il a su tisser des liens au cours de co-plateaux de concert, avec la crème des artistes, François Puyalto, Bastien Lucas, Lili Cros, Thierry Chazelle, Marion Cousineau, Lise Martin, Patrice Mercier, Jeanne Rochette, Camille Feist, François Staal… Un public en attente d’accompagnement musical plus complexe, une résidence musicale commune avec Bastien Lucas qui leur fait découvrir une même vision de la chanson, l’envie d’un album plus élaboré, plus mature, plus joueur aussi paradoxalement déclenche ce projet, chapeauté par Bastien Lucas qui dirige, réalise et signe les arrangements. Et que dire ? Si la perfection n’était pas si ennuyeuse, nous dirions que cet album est parfait.
Il y a la pochette de Julie Gasnier (Super Bravo), ce cercle de vie avec ces personnages, chacun dessiné d’un seul trait ondulant qui se referme sans jamais quitter le papier, comme l’avait fait Picasso avant elle. Le personnage central illustre la chanson la plus courte de l’album, presque un haïku, Il danse, dédiée au fils de l’artiste. Une transe où les notes légères du piano répondent aux cordes du Quatuor, et à la clarinette de Michel Schick (Horse Raddish, groupe Klezmer, musicien, accompagnateur des chanteurs Ignatus, Dyonisos, Thomas Fersen…). Une danse pas facile, où le corps rejoint l’esprit, « Le ciel est là, et il nous voit ».
À l’autre bout de la lorgnette il y a cette interrogation sur la paternité, vu par les enfants, avec une fausse naïveté « Mon père il est fort / et il a presque toujours raison / C’est normal, parce que c’est mon père ». Même si parfois, il pleure. Chaque père est subtilement représenté par un instrument : le clavier ou la guitare oudique de Bastien Lucas, la guitare de Thibaud Defever, la contrebasse de François Puyalto, la clarinette de Michel Schick, et le Quatuor des cordes.
Parce que ce qui fait la perfection de cet album, c’est la parfaite symbiose entre la musique et les textes, leur sens profond et leur sonorité. Magnifié par les subtils arrangements de Bastien Lucas et l’enregistrement d’Olivier Renet, le mixage inventif de Jean-Baptiste Bruhnes. Ce n’est sans doute pas une coïncidence si la plupart des musiciens qui ont œuvré sur cet album sont aussi eux-mêmes des auteurs et des interprètes de talent. Ils réussissent là l’impossible, ce que tout chanteur rêve d’atteindre, ce qui fait de la chanson, lorsqu’elle est réussie, l’art le plus abouti, un concentré d’âme et de beauté en quelques minutes, touchant le cœur et le corps.
Cet album, c’est dix courts-métrages d’un chemin de vie, quand on se retourne à mi-parcours, qu’on se projette encore. Une voix chaude et vibrante, qui se brise parfois au bord des larmes, et distille l’émotion, avec sa tendresse sur la pointe des pieds « J’ai cru, beaucoup en toi, un peu en moi / J’ai bu, j’ai bu dix fois, j’ai bu cent fois / La tasse au bout de ton bras (…) J’ai fait, j’ai fait un pas » et la sensualité sous la couette : « La ville s’efface sous la gamme de nos corps qui s’entrelacent .»
Avec des doutes, « C’est un très grand malheur de n’avoir plus de cœur / Quand les loups me guettent au fond du bois / Je ne sens plus l’amour que j’ai pour toi », des envolées, des remords peut-être en essayant de ne pas avoir de regrets (Démoli les démons), des désirs (Juste pour voir) et un vertige devant l’avenir, puisqu’à peine né, on sait qu’on doit mourir. Vieux, avec son duo moqueur, Lizzie et Lily Luca aux chœurs, et la basse profonde de Puyalto est paradoxalement plus troublante que Tous en boîte, enveloppée de la douceur du violoncelle et des cordes qui calment le glas de la basse de Puyalto et de la batterie de Frédéric Chapperon : « Ce sera doux, si doux, de partir pendu à vos cous / Et vos joues envelopperont mon corps. »
Merci à tous. Vous pouvez être fiers du résultat de ce travail contrarié par des contraintes prophylactiques qui n’ont pas empêché chacun de se surpasser…
Catherine LAUGIER
Olivier Eyt, Un pas deux pas, La Plante à sons, Inouïe distribution 2021. Le site d’Olivier Eyt, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, là.
En résidence la première semaine de juin au Théâtre des Malassis à Bagnolet pour préparer la première le vendredi 2 juillet 2021 à Bagnolet au Parc Audin en trio avec Bastien Lucas et François Puyalto.
Un pas deux pas, audio
Juste pour voir, audio
Tous en boîte, audio
Et les secrets de fabrication, avec, par exemple, J’ai démoli les démons (extrait)…
Olivier EYT (chant, piano) avec Bastien LUCAS (guitare, claviers) et François PUYALTO (basse) avec Un pas, deux pas, en concert le mercredi 6 octobre à 20h30à La Manufacture Chanson