Pierre Perret : ne pas laisser déborder le lait
C’est un spectacle de la Compagnie du Sans Souci, dont tous disent le plus grand bien : la grande presse (Télérama, Le Canard Enchaîné, France-Info, Le Parisien…Valeurs actuelles ? euh, j’en doute) surenchérissant dans le dithyrambe. Une thématique sur les chansons sur l’école… Avec, parmi elle une chanson de Perret, avec son verbe et sa verve, du sain de corps et d’esprit, qu’on ne risque pas de confondre avec celles de Frédéric François.
En fin 1974, un de ses titres, condamné à l’enfer sur France-Inter, cartonne sur Europe 1, tant que ça devient, plus encore qu’un phénomène de société, une date de l’Histoire de France : « Tout tout tout / Vous saurez tout sur le zizi / Le vrai, le faux / Le laid, le beau / Le dur, le mou / Qui a un grand cou / Le gros touffu / Le p’tit joufflu / Le grand ridé / Le mont pelé… » Si les culs bénis s’étranglent, dans leur ensemble les Français rient de cette chanson qui signe la fin de l’hypocrisie, et la chantent en toute circonstance. J’ose imaginer que d’aimables turlupins l’aient susurré dans le secret de la confession. S’il est un acte qui a symbolisé la libération sexuelle en France, c’est ce Zizi-là. Pierre Perret fut même amené à animer des émissions sur l’éducation sexuelle à l’antenne de cette station périphérique.
Moins de deux ans après, notre chanteur sort le 33 tours Papa Maman, dont la chanson-titre tenta de tirer un autre coup sans toutefois rester dans nos mémoires : Papa Maman est le parfait mode d’emploi des choses de l’amour et de la reproduction, je n’ose dire « du vécu de l’intérieur ». Qu’on en juge : « Le prof’ a expliqué comment papa aime maman / Y ferment la porte à clef et y z’arrachent tous leurs vêtements / Y se caressent y soupirent / Y se sucent la tirelire / Y se mettent en position / Et y constatent une érection / Quand la verge a durci c’est que les bourses remontent au trot / Le vagin qui voit ainsi qu’c'est pas le moment d’louper le métro / Dispose la salle des fêtes / S’lubrifie la pâquerette / Le pénis quant à lui / Il entre et y fait comme chez lui… » C’est sûr que, avec ou sans burettes, ce n’est pas une chanson de messe, mais c’est bien moins choquant, bien moins violent que le moindre des couplets de La Marseillaise.
Donc Papa Maman est de la tracklist du spectacle susdit, celui du Sans Souci, estampillé tous publics. Qui, à ce titre, fut commandé par la Ville de Sarcelles pour être présenté à ses écoles.
Des parents d’élèves ont toussé hors Covid. Eux qui ont fait des gosses ne veulent pas qu’on en donne la recette, le protocole. Les coins à champignons, on les garde pour soi.
Peut-être que de crûment chanter l’utérus ou la masturbation, de déclarer que « Qu’on soit l’aigle royal ou qu’on ait le zizi d’un roitelet / Le prof’ dit que l’idéal c’est de pas laisser déborder le lait » n’est pas adapté à des élèves de primaire. Mais c’est bien plus poétique que ces dégradantes vidéos porno auxquelles ils ont accès sur leur tablette dont papa-maman n’ont pas su ou pas voulu activer le code parental.
Toujours est-il que, de semaine en semaine, l’actualité nous informe de l’inexorable progression des interdits de la chanson que, pour un oui pour un con, on met à l’index. Des flics, des ultra-cathos, des intégristes, des politiques, des populistes, des #MeToo, des militaires… tous trouvent sans mal dans l’immense répertoire de la chanson de quoi alimenter leurs haines, leurs rancœurs de frustrés. Rien qu’à énumérer ces plaignants, je les vois défiler dans les dessins de Cabu d’il y a cinquante ans.
Rien ne change, tout empire. On n’a pas fini d’amputer la chanson : au contraire, ça ne fait que commencer.
Papa, Maman par Pierre Perret
Papa, Maman par la Cie du Sans Souci
Il est vachement bien ce texte de Perret.