Patrick Boez, 1961-2021
Cette chanson qui vit dans la marge serait plus méconnue encore sans ces infatigables militants, ces lumineux passeurs comme l’est Patrick Boez. Qui vient de disparaître, à tout juste soixante ans.
Originaire de Valenciennes, il adorait les îles froides, avait vécu au îles Kerguelen, résidait à Saint-Pierre-et-Miquelon où il avait emménagé il y a plus de trente ans.
Dans sa vie professionnelle, il était non forcément comme celui de la chanson, « Señor Météo / Quando dit qu’il fait beau / Señor Météo / Ah gla gla qué frigo », toujours est-il qu’il bossait à Météo-France. Dans le privé, il était au moins deux personnages à lui tout seul, aussi remarquables l’un que l’autre. D’abord photographe animalier de grand talent. Recevoir un paquet orné de timbres de la Poste miquelonaise avec des photos d’oiseaux prises par lui, ça donnait de suite une once de plus-value à l’envoi…
Il savait tout des oiseaux migrateurs, autant que des oiseaux rares de la chanson française, du dernier Michèle Bernard, du prochain Frasiak… tout !
La chanson – et les chanteurs – le connaissaient, tous l’appréciaient. Notre diable d’homme animait depuis des lustres une formidable émission radiophonique sur la chanson, Jambon-Beurre : il est à la hauteur de près de six cents émissions ! En ce domaine, Patrick Boez était comme le riz que je ne nommerai pas : incollable. Qui plus est aussi pertinent que modeste. Son ami le journaliste Albert Weber le qualifie d’« encyclopédique et décontracté ». A la hauteur d’une discothèque perso impressionnante (l’ami Bouchery vous le dit mieux que moi, lire ci-contre) et d’une insatiable curiosité. Loin de la Métropole, il en connaissait bien plus sur la chanson française que la plupart d’entre nous.
Le 20 février dernier, la radio Saint-Pierre et Miquelon 1ere annonçait d’un sobre communiqué : « Jambon-Beurre sera absent des ondes pendant quelques temps. Profitez-en pour écouter les anciennes émissions ! On se retrouve le plus vite possible ». Un drame personnel a éloigné Patrick de l’antenne. Il est décédé hier. Son corps a été retrouvé au pied d’une falaise, sur des rochers.
Il va terriblement manquer à la chanson. On ne peut plus que réécouter les émissions (depuis 2005 !) de Jambon-Beurre. C’est ici.
Bonjour,
Nosenchanteurs nous informe malheureusement régulièrement de la disparition de personnalités de la chanson, certains étant pour moi des inconnus, d’autre pas. Hier, j’ai découvert la disparition de Patrick Boez, qui m’a très fortement attristée. J’avais découvert Jambon-Beurre il y a quelques années, en fouinant sur Internet, et régulièrement je me faisais « une cure » de ses émissions grâce aux podcasts en ligne. Et à chaque fois c’était un vrai plaisir d’écouter ses émissions, pleine de chansons et d’apartés pleins d’humour partagés avec ses partenaires de radio. Je ne l’ai pas connu personnellement mais j’avais pris échangé avec lui à plusieurs reprises un mail avec lui au moment des changements d’années. C’était un serviteur de la chanson française.
Denis
Avec son accord, nous publions le très bel hommage d’Hervé Lapalud à Patrick Boez.
Lettre à la Fragilité N°2
(à Patrick Boez)
Chère Fragilité,
aujourd’hui tu t’appelles Patrick, et tu as sauté du train en marche.
Sans appeler les copains à vider une bouteille et chanter des chansons.
Je ne sais pas pourquoi.
Je ne te connais pas.
Pas assez.
On s’est croisés. On s’est souri.
Un peu reconnus. On ne se croisera plus.
Tt as rejoint Allain. Tu as rejoint Greg.
Et quelques autres qui trouvaient la vie trop…
Ou pas assez…
C’est dur à comprendre d’ici.
J’ai lu YOGA d’Emmanuel Carrère.
J’ai lu Delphine De Vigan, RIEN NE S’OPPOSE À LA NUIT.
J’ai entrevu ces êtres pour qui la jauge d’existence est toujours sur la réserve.
Ces êtres qui ne savent pas qui ou pourquoi appeler.
« J’ai mal à la vie, est-ce que je peux venir un peu pleurer chez toi ? »
« Est-ce que je peux juste venir m’asseoir en silence sous ton toit, près de toi,
une semaine ou deux ? Le temps d’avoir trois fleurs dans le cœur. »
« Bien sûr, tu peux. »
« La porte est ouverte et ton verre est plein. »
Je me dis qu’on devrait faire ses gammes.
Je me dis qu’à l’école, on devrait apprendre à dire « J’ai Peur »,
comme ça dans le vide, apprendre à le dire avant d’en avoir besoin,
comme certains apprennent le massage cardiaque.
Au cas où.
Pour sauver une vie.
La sienne peut-être.
On devrait instaurer un contrôle technique de l’amitié,
être sûr à tout moment qu’on a une ou deux épaules bien douillettes où venir chialer,
des bras pour vous serrer, une voix amie qui n’a aucun conseil à vous donner.
On devrait s’entraîner à n’être « rien du tout », à être tout petit, au cas où. Faire ça, de temps en temps, en laboratoire,
Et pas tout seul dans son plumard.
On devrait apprendre ça aux gamins,
leur apprendre à se rouler en boule,
caresser des gros chats moelleux,
faire des bulles de savon,
marcher sur la bordure du trottoir.
Ils savent tout ça, c’est vrai.
On devrait juste leur apprendre à ne pas l’oublier.
Ça peut servir.
Hervé Lapalud
7 05 21
11H52