Piers Faccini, réfléchir la lumière
Entretien avec Piers Faccini à l’occasion de la sortie de son album Shapes of the fall, par Robert Migliorini
« Il ne faut jamais créer pour d’abord vendre ou passer à la radio. »
NOSENCHANTEURS : Installé avec votre famille en France depuis plusieurs années, vous vivez dans les Cévennes Gardoises. C’est au cœur de cette sorte de refuge, en pleine nature, que vous avez composé votre nouvel album « Shapes of the fall » (Formes de la chute). Seriez-vous devenus un de ces collapsologues qui annoncent une fin du monde ?
Piers Faccini : pas vraiment. L’album était déjà écrit avant le premier confinement. Je suis d’abord un artiste qui cherche à saisir l’air du temps, par vocation. Si possible, avec un moment d’avance, comme les éclaireurs devançant la troupe en reçoivent la mission. Mais il est vrai que l’on peut estimer que nous sommes menacés à terme par une forme d’effondrement. Si nous ne réagissons pas. Il suffit parfois d’ouvrir sa fenêtre. Un exemple tout simple : j’ai craint un moment cette année ne pas revoir depuis ma fenêtre les rossignols de retour de leur migration depuis l’Afrique. Finalement ils sont là. Cette appréhension aurait été inimaginable il y a seulement vingt ans. Ce sujet, cette préoccupation, se sont imposés à moi comme à beaucoup d’autres. J’en changerai certainement dans trois ans. Cela dit je n’écris pas des discours sur ces réalités. J’écris des chansons.
L’album traduit ce clair-obscur qui s’est imposé à vous ?
Mon album résonne comme une complainte. Du désespoir à l’espoir retrouvé. De la descente à l’élévation retrouvée. Je mets en forme le dialogue entre ces deux versants de notre présent incertain. Avec une tentation, une escapade, du côté de la danse et de l’exaltation de la transe. J’aime cette tension entre le céleste et le terrestre, le visible et l’invisible. J’aime encore dans ce contexte citer cette parole de sagesse qui dit que « La qualité des âmes lucides est d’émettre ou de réfléchir la lumière ». Voilà donc un chemin pour l’amateur de poésie que je suis. Lucide oui mais pas résigné !
Une des chansons « All aboard » (avec Ben Harper et Abdelkebir Merchane) évoque l’arche de Noé. Le déluge n’est pas loin ?
C’est moins une référence strictement biblique que de savoir lâcher prise et aller en terrain inconnu. Je m’explique : j’ai l’habitude de dire à mes étudiants, à Lausanne, lors de mes cours d’écriture de chansons, qu’il faut être à l’aise là où l’on se sentira perdu. Pour cette chanson j’avais une tourne musicale mais pas de thème. J’ai pensé à une forme où le chanteur plutôt anglo-saxon appelle et un chœur lui répond. A partir de cet impromptu j’ai décidé de reprendre ce récit connu de tous. La musique a donc précédé le thème.
Les musiques méditerranéennes si présentes dans vos compositions expriment votre fascination pour le dialogue des cultures.
J’y suis fidèle avec mon équipe de musiciens complices (notamment Malik Ziad, spécialiste des musiques gnawas et du Maghreb, et son frère Karim). Je reste fasciné par ces musiques. Elles me relient à un monde ancien, universel en fait, et expriment l’élévation qui m’importait de partager dans cet album. C’est ainsi que j’engage volontiers des dialogues entre des modes musicaux si différents à première vue. Tout l’album est un dialogue. Un peu étrange parfois et artistique toujours. On retrouve aussi ma passion pour les musiques baroques et le folk.
Un sentiment renforcé par le choix d’écrire les chansons en anglais.
C’est ma langue natale. C’est aussi ma façon de construire la narration dans cet album. Je chante aussi en Français. Comme sur mes deux albums précédents. Et je pourrais écrire un album entier dans la langue française. Ce serait alors comme engager un nouveau dialogue. Lorsque j’écris en Français j’ai tendance à aller vers une forme plus romantique, plus intemporelle qui se marie bien avec cette langue. Ma préférence, par exemple, irait vers un mode classique : des poèmes de Verlaine mis en musique par Gabriel Fauré.
La chanson française vous a influencé ?
Je ne parlerais pas d’influence à proprement parler. J’admire Brel, Brassens et tant d’autres aujourd’hui disparus. Pour moi, cela va vous paraître paradoxal, mais je considère qu’un de ceux qui écrirait le mieux en Français est d’origine… néerlandaise. Je veux parler de Dick Annegarn. Je considère ses chansons comme autant de dialogues improbables et particuliers avec la poésie de la langue française. Il a trouvé son propre style et laisse ainsi son empreinte.
On est loin du registre strictement commercial en vogue.
Je le redis aussi à mes étudiants : il ne faut jamais créer pour d’abord vendre ou passer à la radio. Un authentique poète suit ses passions. Il le fait au mieux et doit suivre son propre désir. Et après il rencontrera ou non un public. En attendant cela demande du courage. J’ai la chance de vivre en France et, grâce au numérique, de trouver un écho y compris dans des pays où je n’ai jamais donné de concerts. Comme la Turquie.
Ce qui a conduit également à créer votre propre label, Beating Drum
Ce choix s’est imposé. C’est encore modeste mais ce label me permet d’assumer mes choix. Et de faire, notamment, connaître de nouveaux artistes. Quatre titres sont déjà sortis dans cette collection. Deux autres vont suivre lorsque nous serons sortis de cette période de confinements : la chanteuse et percussionniste francophone Oriane Lacaille et la suédoise Jenny Lysander. Je tiens aussi à sortir de ma réserve.
LE DISQUE
Piers Faccini, le chanteur anglo-italien, installé en France, amorce un tournant, au diapason d’une planète soumise à rude épreuve. Familier de la méthode musicalement douce, inspirée par les rives de la Méditerranée et le folk anglo-saxon il dresse un état des lieux. Aérien et terrien. Il chante « La complainte des animaux, des oiseaux, des insectes, des arbres, des fleuves et des océans ». Sans se départir de sa vision du monde. Peindre, photographe, chanteur, il rappelle que « là où il y a une volonté, il y a un désir…Une main pour espérer / Un espoir à tenir » (Foghorn Calling/L’appel de la corne de brume). Citoyen du monde Piers Faccini trace son destin discographique et concertiste depuis dix-sept ans. La rupture entre l’humain et la nature n’est pas consommée mais gare ! toujours en recherche d’équilibre comme dans le titre « Dunya », où se rencontrent les rythmes et les modes musicaux.
Robert MIGLIORINI
Piers Faccini, All of the shapes, Beating drum records, No format !, 2021
Le site de Piers Faccini, c’est ici. Celui de Beating Drum, là. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, ici.
En concert au Trianon le 16 juin 2021.
Vous pouvez déjà regarder le livestream que Piers Faccini a donné sur facebook le 20 avril 2021 en duo avec Malik Ziad depuis un appartement parisien, le son est excellent et le concert est commenté.
Foghorn Colin (animation vidéo de l’artiste)
All aboard (La Blogothèque)
Levante (en concert)
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