Lotte Grondin, 1924-2021
Elle était partie pour vivre centenaire, la camarde en aura décidé autrement. C’est sans un bruit, dans la discrétion ouatée qui était depuis longtemps sa fidèle compagne, que Lotte Grondin nous a quittés cette nuit, laissant derrière elle une œuvre imposante quoique trop méconnue, et le souvenir d’un esprit libre et malicieux.
Lotte Grondin ? Si ce nom à consonance germanique n’évoque probablement pas grand-chose au grand public, il ne manque pas de titiller la mémoire de tout amoureux de la chanson française. C’est en effet à cette parolière que l’on doit quelques succès impérissables du répertoire, comme Chalut les amoureux, La pêche aux grosses (chanson inimaginable aujourd’hui, en ces temps de lutte contre la grossophobie), La sole de Paule (dont Brassens s’inspirera pour La cane de Jeanne) ou cette enjouée ballade, chantée entre autres par Juliette Gréco, Le catamaran pas marrant… Des chansons bien troussées, pleines d’allant et de fantaisie, comme on pouvait en faire jadis.
C’est en Bretagne que Lotte Grondin a vu le jour, dans le petit village de Renôsandec, au bord de cet océan qui toujours l’inspirera. Comme il se doit, son père est marin, mais aussi botaniste amateur. C’est lui qui publiera en 1957 le fameux guide Les champignons vénéneux, comment les reconnaître ?, dont la deuxième édition avec mise à jour, parue à titre posthume, connut un énorme succès. Sa mère, elle, travaille le jour comme couturière à la fabrique de chapeaux ronds du village voisin, le soir comme serveuse au restaurant « Le dodu bedon » de Plougastel, et la nuit comme gardienne du phare de Saint-Mathieu. Cruel destin : elle meurt d’épuisement en 1926, laissant sa fille inconsolable et son époux tranquille.
La petite Lotte connut pourtant une enfance paisible, entre un père trop souvent absent pour cause de marée qui n’attend pas et sa tante Tifenn, maman de substitution analphabète mais pleine de bonne volonté. Entre les moutons à garder, les choux-fleurs à planter et les galettes à surveiller, elle apprend à lire en autodidacte avec l’Echo des bateaux, la seule revue admise dans la chaumière familiale, ce qui lui valut très tôt d’être incollable sur les horaires des marées de Pleumeur-Bodou.
A 20 ans, dans l’effervescence de la Libération, Lotte Grondin décide de quitter sa campagne natale pour la grande aventure parisienne. Multipliant les emplois pour joindre les deux bouts, elle trouve pourtant la force le soir de remplir ses cahiers de poèmes et écrits divers, socle de sa future carrière d’auteure. Fréquentant les cabarets chantants, elle fraie avec tous les artistes montants de l’époque. Guy Béart écrira pour elle Lotte ma pote, tandis que Jacques Brel déclarera « Je tiens Lotte Grondin pour la meilleure actrice que j’ai jamais vue sur scène » (alors qu’elle ne l’était pas, mais bon, il avait bu ce jour-là). On raconte même que son prénom inspira Serge Gainsbourg pour sa célèbre chanson Elaeudanla Teïtéïa, même s’il dut malheureusement le modifier pour une question de pieds sur sa mélodie.
C’est un Marcel Amont débutant qui lui mit le pied à l’étrier, interprétant son Gardien de far (musique de Michel Legrand), que Lotte avait écrite en hommage à ses racines. Ce grand succès en entraîna d’autres : Mon école buissonnière (Philippe Clay), Un jour je l’ai vu (Mouloudji), La femme de Jean (Christine Sèvres) … Puis, ce furent les yéyés qui firent appel à son imagination sans bornes : Ne pleure pas (Pascal Danel), Retiens tes larmes (Michèle Torr), Le sanglot ravalé (Sacha Distel), De l’eau qui coule (Frankie Jordan) ou encore J’ai oublié de rire (Dick Rivers). Les années 70 furent moins fertiles. Notons toutefois le très beau et biographique Made in Bretagne chanté par les Poppys, malheureusement éclipsé par un titre fort proche de Stone et Charden, ainsi que l’amusant Prout prout ça urge de Patrick Topaloff.
Au mitan des années 80, le succès la quittant, Lotte Grondin se retira peu à peu du métier et renoua avec ses origines, s’en allant mener une vie recluse dans le village de Lémor-le-Caradec. Ses mémoires, parues en 1996 sous le titre de Les mois d’avril sont sympathiques, la ramenèrent une ultime fois sous les feux de l’actualité, avant que peu à peu elle ne sombre dans un injuste oubli.
Puisse son décès lui rendre une part de sa gloire passée. Lotte Grondin ne fut certes pas une poète immortelle, mais une solide artisane de la chanson, qui, l’espace de quelques minutes, procura du bonheur à bien des gens. C’est peu et beaucoup à la fois.
Hasard du calendrier : EPM doit sortir en mai, dans sa collection « Les grandes plumes de la chanson », une compilation des plus grands succès écrits par Lotte Grondin, avec un inédit exclusif chanté par Jacques Bertin, Arête arête ne me pique pas. Idéal pour (re)découvrir cette belle auteure.
Pol de GROEVE
Bravo et félicitations !
Quand l’humour en chansons nous chatouille la gLotte… nous pouvons voir la vie en rose…
Oui, bravo !
Je me suis fait encore avoir (comme il y a deux ans…) mais pendant les premières lignes de l’article seulement.
Après, j’ai compris en riant aux éclats qu’on était le 1er avril…
Heureusement que vous êtes là pour nous faire rire au moins une fois par an…
Il était temps de rendre hommage à ce grand auteur qui fut néanmoins également autrice et auteuse. Cet article vient opportunément combler ce manque.
Je ne connaissais pas… elle est incroyable cette femme !