Chanson, féminisme et #MeToo

Ce n’est pas sur NosEnchanteurs qu’on prétendra le contraire : la chanson, genre populaire s’il en est, a toujours exprimé l’air du temps bien avant les autres arts. Dame !, c’est qu’il suffit de quelques accords et d’une plume alerte pour pouvoir, sans retard, témoigner de la pulsation de l’époque.

Quoi d’étonnant dès lors que le mouvement de libération de la parole féminine, incarné par le hashtag #MeToo, ait pu tout de suite trouver écho chez les chanteurs et chanteuses (surtout !), et donné naissance à nombre de chansons néo-féministes. Une mode éphémère ? On pourrait le croire, si ce n’est que ces nouvelles guerrières n’ont en réalité fait qu’emboîter le pas à leurs aînées, défricheuses et pionnières de l’égalité. Disons donc plutôt une mise en lumière nouvelle d’un combat hélas trop ancien.

C’est cette (r)évolution que le livre Les Amazones de la chanson entreprend de disséquer. Un livre de Thierry Coljon, certainement le journaliste musical le plus connu de Belgique, puisqu’il officie au journal Le Soir depuis déjà 40 ans. Autant dire le Bertrand Dicale du plat pays.

En 150 pages, le livre n’entend certes pas retracer toute l’histoire du féminisme à travers le prisme de la chanson. Après un bref survol historique de l’éternel combat des femmes pour plus d’égalité, il s’attache avant tout à souligner la lame de fond qui envahit nos scènes et nos ondes, tant les jeunes chanteuses actuelles ont à cœur de vider leur sac, sans appel au soulèvement mais sans angélisme non plus, avec la ferme volonté de servir de guides et modèles pour les jeunes générations.

Il sera donc forcément moins question d’Anne Sylvestre (évoquée sur une demi-page) que d’Angèle ou Clara Luciani, dont les emblématiques La Grenade et Balance ton quoi font office d’étendards. Avec, à toute seigneure tout honneur, le coup de chapeau tiré à Christine and the Queens, celle qui aura déclenché le grand mouvement de renouveau en France et inspiré toutes les jeunes chanteuses apparues ces dernières années. Qui ont pour nom Hoshi, Suzane, Aloïse Sauvage, Sandor, Pomme, Jeanne Added…, autant d’artistes libérées sur paroles, qui osent aborder frontalement dans leurs chansons leur (homo)sexualité, leur ras-le-bol des manières machistes de leurs contemporains, leur envie et besoin de changement. Notons toutefois que, pour faire bonne mesure, la liberté sexuelle est également abordée du côté masculin, par le biais de chanteurs qui ne craignent pas d’afficher leur préférence, comme Eddy de Pretto ou Pierre Lapointe.

Thierry Coljon (photo facebook Eric Lamiroy)

Pour encadrer son propos, Thierry Coljon démontre combien la chanson s’est au fil du temps délivrée de toute bienséance, en particulier chez les rappeurs, et comment ce « rap sale » a engendré un retour de balancier de la part de la gent féminine, quasi en état de légitime défense. Il n’hésite pas à faire un saut du côté des USA, soulignant combien certaines artistes là-bas sont à la tête d’un véritable empire, qu’elles dirigent d’une main de fer (Madonna la précurseur, Beyoncé, Rihanna…), stade ultime de l’indépendance, tant artistique que financière. Une voie qu’a empruntée, de ce côté de l’Atlantique, une Mylène Farmer, et que d’autres suivront certainement dans les années à venir.

Se fondant sur sa solide connaissance dans le domaine, sur les paroles des chansons et sur les interviews qu’il a pu mener, Thierry Coljon fait œuvre à la fois de sociologue et d’historien. Son livre a le mérite de synthétiser les grandes questions qui agitent notre époque, soutenant le combat féministe sans en cacher les excès. Certes, la chanson n’a pas le pouvoir de guérir les maux qui gangrènent notre société, mais au moins peut-elle utilement les montrer du doigt. La suite appartient à tou(te)s.

Thierry Coljon, Les Amazones de la chansons, Luc Pire Editions, 2021. Pour commander ce livre, c’est ici.

Clara Luciani « La grenade » :

Angèle « Balance ton quoi » :