Jacques Dutronc, le livre Crac Boum Hue !
Voici un livre en tous points réjouissant. Dont on ressort charmé et instruit. Qui nous ouvre bien des portes sur l’artiste disséqué, sans pourtant en dévoiler totalement le mystère. L’auteur, l’excellent Frédéric Quinonero, l’aurait-il pu de toutes manières ? C’est que l’acteur-chanteur qui en est l’objet, bien que populaire et célèbre, est depuis toujours une légende discrète. Pas du genre à se répandre dans les journaux et émissions de télé, se contentant du strict nécessaire pour assurer la promo de son travail. Et avec toujours une distance moqueuse, un second degré permanent, une timidité camouflée sous un flot de plaisanteries, voire un je-m’en-foutisme énervant, qui empêchent de le cerner réellement et d’en apprécier la profondeur. Le titre de l’ouvrage résume donc parfaitement son sujet : Jacques Dutronc l’insolent.
Voici donc une occasion en or de s’aventurer dans la découverte de l’interprète des Cactus. Un livre à même de captiver tant le fan invétéré que l’amateur néophyte. Une biographie en belle et due forme, au style soigné et sans préciosité, à la langue claire et précise, qui parcourt de A à Z la vie, privée comme artistique, de l’homme au cigare. De son enfance parisienne à sa retraite corse. De sa jeunesse d’enfant-roi, entre un père passablement absent et une mère fantasque, à son sacre aux César, en passant par son adolescence d’après-guerre, lorsqu’il fit la connaissance de ses deux potes appelés à devenir Johnny Hallyday et Eddy Mitchell.
L’auteur nous fait revivre les débuts professionnels de la future star, en tant que compositeur et assistant de Jacques Wolfsohn, le directeur artistique des Disques Vogue qui lui mettra le pied à l’étrier. Il dévide pour nous le fil de sa riche carrière, entre les disques, la scène et le cinéma. On y croise Alain Chamfort (son pianiste des premières années), Jean-Pierre Alarcen (avant qu’il ne rejoigne François Béranger) ou Serge Gainsbourg (le parolier et compagnon de beuverie). Jusqu’à son ultime performance – mais l’homme n’a pas forcément déjà dit son dernier mot ! – en forme de bouclage de boucle : la tournée des Vieilles Canailles.
Une vie relatée avec précision, où rien ne semble avoir été oublié. Extraits de presse et passages télévisés forment le socle du récit, les témoignages recueillis par l’auteur (auprès de Françoise Hardy ou d’amis de toujours, comme Jean-Marie Périer) les murs porteurs. Une vie narrée avec discernement et sans aveuglement, l’auteur ne masquant nullement les travers du personnage : Dutronc et l’alcool qui trop souvent l’a rendu insupportable, Dutronc et sa cour permanente de parasites l’éloignant de ses vraies amitiés, Dutronc et ses histoires de coeur compliquées, Dutronc et sa relation d’amour-haine avec son parolier Jacques Lanzmann…
Remonter le cours de cette existence trépidante, c’est se replonger dans la fougue des sixties, quand le chanteur donnait naissance à tant de succès discographiques : J’aime les filles, Paris s’éveille, Et moi et moi et moi, Les Playboys, La fille du Père Noël… C’est aussi revivre ses grands retours scéniques, en 1992 (surtout !) et 2010. C’est égrener une très belle filmographie, parsemée de pépites (L’important c’est d’aimer, Van Gogh, Embrassez qui vous voudrez…) et d’œuvres moins marquantes, sans que jamais toutefois on n’y puisse critiquer la prestation de l’acteur, toujours juste et sobre.
On referme le livre avec le sentiment d’avoir côtoyé un homme libre, qui, selon ses dires, s’est toujours laissé guider par le hasard (chanteur sans l’avoir voulu, acteur parce qu’on est venu le chercher) mais qui en a su exploiter les conséquences avec une rare intelligence. Un artiste dégagé, sensible à l’air du temps, sans paraître être concerné pour autant par les grands enjeux de l’époque. Un chanteur dont les chansons désinvoltes ne nous apprennent pas grand-chose sur son moi profond, que la caméra aura bien davantage capté chez l’acteur.
Avec Jacques Dutronc l’insolent, Frédéric Quinonero nous livre une biographie qui se dévore comme un roman, à lire avec YouTube à portée de clic pour (re)découvrir les titres de gloires et les chansons méconnues. Il réussit à dévoiler l’homme mi-figue, mi-raisin qui se cache derrière le Dutronc médiatique, et à détruire l’image fausse de dilettante qui continue à lui coller à la peau, alors qu’il est en réalité un gros bosseur. Mais surtout, sans rien occulter de ses nombreux défauts, il nous le fait aimer encore davantage. Mission accomplie.
POL DE GROEVE
Frédéric Quinonero, Jacques Dutronc l’insolent, préface de Thomas Dutronc, l’Archipel, 2021. Ce que NosEnchanteurs a déjà dit de Dutronc, c’est ici ; et de Quinonero, c’est là.
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