Les Tortubes, sans tuba ni trompettes

Les Tortubes, capture d’écran

Les Tortubes, vous en connaissez au moins déjà un : Roland Bourbon, batteur célèbre bien qu’il ne cogne pas et puisse même interpréter délicatement un faon, accompagnant en concert Nicolas Jules. Aussi discret médiatiquement qu’il est présent sur scène, laissant admirer sa solide plastique le plus souvent torse nu, on le retrouve à la tête ou au cœur de multiples projets musicaux, pour tout vous dire, il ne s’arrête jamais.
Batteur en free musik dans plusieurs groupes, musicien compositeur expérimentateur, il est le créateur et directeur artistique de la Cie Fracas « La singularité et l’hédonisme perpétuel » depuis 1996, où il a créé notamment en 2001 Orlando Furioso, un opéra punk baroque. On le trouve aussi aux percussions et glockenspiel avec le britannique Sol Hess, entouré de The Sympatik’s. Il a été le directeur musical du projet Jeune Public Icibalao en 2014 de Thibaud Defever.
En chanson il officie dans le duo Traumat et Triogolo dans les années 2000 ; dans le collectif à géométrie variable du Lapointe repiqué (Boby) en 2012, avec Evelyne Gallet, Yeti, Dimoné, Imbert Imbert , puis d’autres dont Nicolas Jules ; avec ce dernier en duo ou trio ; au sein de Bancal chéri avec Dimoné, Imbert Imbert et Nicolas Jules depuis 2018, mais aussi dans tout le spectacle vivant, théâtre, danse, expo… A noter le spectacle musical-mémoire d’Ymer, de Clément Bertrand.

Il nous reste à découvrir la tête des Tortubes, Philippe Laval, défini comme « comprovisateur » : c’est lui qui écrit les textes, dit, déclame, chante. Un comédien-poète-chanteur-compositeur qui à l’instar de ses collègues, se caractérise pas sa folie créatrice et sa verve satirique. Il est aussi guitariste, bruitiste et rien ne l’arrête. De sa guitare il peut jouer à plat, en faire percussions, la faire gémir ou grincer. Jazzman puis compositeur de musique contemporaine, son goût de la poésie (il est auteur de plusieurs œuvres poétiques) passe par sa voix, les mots doivent sonner, suivant la tradition du troubadour occitan. Voyageur, on le trouve aussi bien aux côtés de Bernard Lubat que de l’ensemble Proxima Centauri pour lequel il compose, ou au Cameroun avec Les Génies noirs.

Le troisième Tortubes est Bruno Laurent l’indispensable contrebassiste qui donne de l’ampleur, de la vibration, de la gravi…tude ? Il a participé à la création et l’interprétation de musique expérimentale d’aujourd’hui au sein de l’Orchestre Le Un, ou du Viellistic Orchestra, travaillé avec la plupart des musiciens de jazz français, et avec les  compositeurs-improvisateurs Philippe Laval sus nommé, Etienne Rolin,  et François Rossé.

Onze titres sous la pochette naïve où les tubes d’un étrange instrument mi-tuba, mi pomme de douche dessinent un labyrinthe rouge souligné de violet. C’est qu’on peut se perdre dans le monde bien réel que nous décrit l’album avec humour et inventivité. Il y a un zeste de Brassens, de Boris Vian, d’André Minvielle dans ces chansons fleuves construites de fragments de discours détournés (Va bosser fainéant Y’a du boulot), d’extraits de film « Qu’est ce qu’on peut faire ? Chais pas quoi faire », grande collecte d’informations (? ) télévisuelles, de slogans publicitaires, de détournements. L’absurde y côtoie le tragique. Le message est carrément contestataire, anarchisant, avec un hédonisme tendance Alexandre le Bienheureux « Pôle emploi veut me faire embaucher par Carrefour / Mais je reste au pieu ils n’auront pas mon amour ». Et la méritocratie tant vantée ne les dupe pas : « Nous le chantent, les bons apôtres / qui vivent sur le boulot des autres », et « Kiffer l’argent même en dormant » ne les abusera pas. L’exploitation de l’humain au travail donne lieu à un réjouissante, ou affligeante proposition : « Pour tous vos besoins, préférez l’humain. », finit en une tragique eucharistie : « Voici mon cœur, voici ma chair / Voici nos sœurs, voici nos frères, it’s your puppet ! »

L’imprécateur souligne les injonctions contradictoires du discours officiel, « Faut de la bagnole t’as pas le choix (…) Faut plus rouler sauf en vélo / Faut plus péter du gaz carbo » ou encore « Faut pas rester sans travailler – Bèè non ! / Tout le monde se lève pour l’industrie / Faut inventer de nouveaux produits / Le paradis est à ce prix. »
Le mouton est récurrent « aux oignons en cocotte à la broche mijoté ou braisé à la crème bien poivré » (Notez les recettes ça peut servir), et même la chanson peut être instrumentalisée « Laissez-moi chanter mes agneaux / Pour vous rendre tendres et gentils ».
Tout finit par une utopie peut-être dystopique, avec des chambres à tendresse, une architecture idéale, du libre, du curieux et de l’amour, qui soudain bascule en catastrophe « Nous n’étions pas préparés à un dérèglement général du système des espaces imaginaires ». Mais laisse une chance au rêve.

Amis obéissants, raisonnables, disciplinés, soucieux d’ordre et de logique, passez votre chemin. Gaulois réfractaires, adultes sensibles à l’absurdité du monde, vous qui avez gardé votre âme d’enfant, qui êtes curieux de musiques inventives, qui grincent, qui battent et envoûtent, vous allez vous régaler. Que ces trois-là nous interpellent, nous réjouissent. Qu’ils gardent la fraîcheur de leur inspiration, leur révolte, leur farouche tendresse.
Catherine LAUGIER

Les Tortubes, Y’a du boulot, sous titré Chants cons sous la neige ! (Carbonique), 2021

Le site de Fracas, c’est ici. Celui de Philippe Laval, là.  Le bandcamp des Tortubes, ici. Ce que NosEnchanteurs avons déjà dit de Roland Bourbon, là. 

« Y’a du boulot » 
Et le 26 mars celle que vous attendiez tou.te.s,
« La Javabaise »