Le Caribou volant, à l’imparfait du futur
Nouveau copieux album du Caribou volant, après Épique Époque (2010), Graine de vie (2016) et Yapadam l’echo logique (2018). Comme le nom l’indique, le thème principal du jeune couple franco-québécois – à ma droite Yoan Giansetto, alias Lao Ché, guitare en bandoulière, à ma gauche Ninon Moreau, violon en main, mais aussi mandoline, guitare, kazu, Rhodes – est notre environnement. S’ils dénoncent un monde de gâchis, de valeurs frelatées et de fausses apparences, un monde qui en veut toujours plus au mépris des humains et de tous les êtres vivants, c’est toujours avec humour et pertinence.
La langue pétille et se repose sur une palette sonore encore enrichie, qui nous incite à lutter pour un monde meilleur en dansant. Le violon très utilisé en musique québecoise - « La Coop le gaz bar la caisse pop le croque-mort / Et le magasin général quand j’y r’tourne / Ça m’fait assez mal ! / Y’est tombé une bombe sur la rue principale / Depuis qu’y ont construit : le centre d’achat ! » (1) – se combine aux cordes et aux cuivres pour une musique à dominante jazz manouche ou tzigane. Le duo emprunte aussi aux esthétiques urbaines, rap (Abeilles road) et slam. Fait un détour par la bossa avant de finir sur une java introduite à l’accordéon, celle des beaux jours, LA rencontre qui vous fait deviner l’essence de la vie : « Il cherchait dans l’esprit de cette fille la beauté / L’invisible caché, l’indicible vérité / Qu’y a-t-il au-delà d’un moment si sacré ? ».
Une seule autre chanson d’amour, encore s’agit-il d’un amour finissant, qui emprunte au passé quelques éléments autobiographiques, une romance à Paris. Et aussi cette ode à l’Amitié, menée par la prenante voix de Ninon au son de la clarinette, du violon et de la contrebasse.
Des chansons bien écrites, déjà rodées en concert comme cette Costard cravates qui semble directement introduite par Panama papers : « … notre système un peu usé / Où des pantins font et défont / Les capitaux décapités ». Inspirée d’un commentaire peu amène de notre président, renouvelée par le slam qui l’introduit, en jeux de mots à la Narcisse (2), chanson chantée parlée sur un free jazz aux cuivres dissonants : « Branchés sur leur Iphone en perfusion, Ils ont le rictus coincé sous évaluation… Dévaluation… Évolution… Révolution… » Ou cette Crises en thème qui swingue sur le violon et n’en finit pas de coller à l’actualité, les crises se succédant et se superposant comme une houle en furie, laissant peu d’espace pour l’espoir d’un avenir radieux. À en venir à cette Nostalgie du futur que l’on nous confisque, alors que « Nos parents pensaient changer le monde positivement »…
La trompette triste de Valentin Pellet accompagne ces Fils de l’exil dans leur quête désespérée, tandis que Le triste destin d’une vache ordinaire se fait tragicomédie, défense empathique de l’animal sacrifié, tout autant que de l’environnement attaqué par l’élevage intensif, sur un tempo effréné. La très riche mise en musique de l’album ne fait pas oublier l’engagement constant du duo, qui chante également pour le jeune public, qu’il souhaite éveiller à leur urgente cause. Ni l’écriture poétique ou affûtée de leurs chansons, dont témoigne particulièrement ce titre, sur les mots de Yoan : « Quel bric-à-brac fait de bric et de broc / Tant de micmacs d’esprits qui soliloquent / Alors je vaque, vaille que vaille je vaque / Dans cette époque épique opaque / Quoi qu’il en soit on raque. »
(1 ) reprise du groupe québécois Les colocs ; (2) Narcisse slam, artiste suisse.
La Caribou volant, Abeilles Road, La caravane créative, Inouïe Distribution, 2021. Le site du Caribou volant, c’est ici. On peut s’y procurer l’album en CD en vinyle (édition limitée), en clé USB (avec les deux précédents). Les détenteurs du CD y trouveront gratuitement le livret grand format des paroles des chansons illustré par les belles encres de Sylvain Cnudde. Ce que NosEnchanteurs a déjà dit d’eux, c’est là
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