Manu Galure, à fière allure
« Un kilomètre à pied / Ça use, ça use / Un kilomètre à pied, ça use nos souliers » Révisons nos classiques, changeons de pompes au besoin et proclamons : « Un kilomètre à pied, ça stimule, ça stimule / Un kilomètre à pied, ça aide la créativité ». Durant deux saisons, le Toulousain Manu Galure a sillonné l’Hexagone, du sud au nord, de l’ouest à l’est, en plaine comme en montagne, de partout. À pied. Avec sur lui le minimum. Sur le livret du disque, on le représente avec un piano sur le dos, les pieds au sol, sol fa mi ré do. Je doute qu’il ait porté son piano sur des milliers de kilomètres, à travers champs et sentiers forestiers, mais l’imagine lors de pauses faire l’aubade aux p’tits oiseaux, écureuils, biches, abeilles et musaraignes. Un récital piano-voix en pleine clairière, l’idée me plaît et, je crois, lui va bien.
Dix mille kilomètres, quatre cents concerts chez l’habitant, dans des granges, des étables sans rois mages, des petites salles municipales, des places décorées comme pour un 14 juillet. Il y a dans sa démarche celle des colporteurs de chansons d’antan, sauf que lui les crée en marchant, en observant, en allant sous le vent, en soulevant l’enthousiasme des éléments. Leurs tourments aussi : « Il existe des pluies anciennes / Restées aux nuages mille ans / Et toutes gonflées de tourments… » Et le jour, à guetter la truffe du goupil, voir dans l’eau claire se faufiler la truite, boire du p’tit lait de pis en pis, à l’orée du printemps s’émerveiller de jonquilles à perte de vue.
« J’ai dormi près d’un arbre / J’ai dormi près d’un an / Les saisons changent quand on dort vraiment / Je me frotte les yeux quelque part en juillet / Je crois que j’ai perdu mon pied / Un sanglier me l’avait pris ».
Sur les chemins, il écrit dans sa tête et musique ses mots, qu’il consigne au piano, le soir venu, parfois même devant les gens.
Nous sommes loin de l’actualité du monde, de l’artificiel tout venant, tout stressant. Mais ancré dans cette terre, dans ces paysages, ces cultures, le cycle des saisons, les caprices de la nature, l’apocalypse… « Et si rien ne se passe/ On ira manger des glaces / En attendant la fin du monde ».
Il nous grime à sa manière la légende du Joueur de flûte de Hamelin :« mais gare à toi vilain vilaine / si tu paies pas le musicien ».
La démarche de Manu est d’un autre temps, en tout cas hors du nôtre. Il y a des chanteurs qui habitent dans le poste à images, ne sachant rien de la vraie vie ; lui poursuit son chemin. Et fait son tour de Gaule, comme jadis Astérix. C’est plaisir d’offrir, joie de recevoir. Galure par essence touche à l’essentiel, à l’harmonie des choses, du vivant. Malgré l’absolue modestie de sa démarche et de son art, son atypique statut de baladin, de troubadour, je crois qu’il est un des personnages les plus curieux, les plus remarquables de la chanson. On ne peut tout à fait aimer la chanson sans le connaître, sans l’apprécier.
De toutes ses chansons ainsi créées dans son périple pédestre, il en avait fait des albums numériques. Disons que ce CD-là, Vertumne*, en est le best-of, le meilleur de. C’est une autre dimension de la chanson, de ce qu’elle peut signifier, du rapport à l’autre, du rapport à soi. À mille et une lieues de tout ce que les camelots du showbiz tentent de nous refourguer.
MICHEL KEMPER
Manu Galure, Vertumne, autoproduit 2021. Le site de Manu Galure, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
Pour se procurer l’album, c’est là.
* Vertumne est un dieu champêtre romain, personnification du changement des saisons et de l’inconsistance des choses. Il possède le don de prendre n’importe quelle apparence.
Manu Galure trio, pianos dérangés, par Catherine Laugier
12 décembre 2020, Le Petit Duc à Aix-en-Provence,
En première partie surprise, Patrice Caumon, comédien-chanteur-musicien-écrivain qui fait aussi office de régisseur, de chroniqueur et de nounou, et sa guitare Taylor en bois exotique chauffe la salle en attendant Manu Galure. Façon de parler, puisque le public, nombreux, se trouve qui dans sa chambre, qui dans son salon, pour suivre cette retransmission de concert en direct et en exclusivité au Petit Duc à Aix-en-Provence le 12 décembre 2020. L’ambiance est plus tranquille, nous confiera Manu, on n’est pas dérangé par des interventions intempestives des enfants, mais malgré la force de l’imagination on y perd un peu d’énergie.
Patrice Caumon joue les losers, parle de son succès au Japon et fait de l’humour noir sur un ami qui joue aux osselets avec des doigts manquants. En deuxième partie il sera aux percussions-bidons, rejoint par Lorenzo Naccarato, de formation classique et jazz, l’accompagnateur au piano droit, tandis que Manu officie au piano à queue dont il a soigneusement scotché les cordes. Lorenzo use aussi de languettes de cuir, plaques d’immatriculation, pinces à linge, trombones, fils de fer, rétroviseurs de camion… pour agrémenter son jeu, à la lueur d’éclairages à la Georges de La Tour.
Après deux ans de tour de France à pied et en musique, voici la tournée Galure, deux pianos, en pointillés et en points de suspension cause à la crise. Deux pianos qui ont leur personnalité propre, puisqu’ils sont baptisés respectivement Daniel et Franck, récupérés suite à un incendie, nous conte-t-il. Les pianos ont été déshabillés pour laisser voir leurs âmes, cordes frappées, caressées, pincées, rajout de vis ou de crins de cheval… Nettoyés, bichonnés, (p)réparés, rendus mobiles par un ingénieux système qui les fait se coucher sur le côté pour se rouler sans peine, ils ne se plaignent jamais de ces traitements particuliers. Il y gagnent des sons inhabituels, dissonances, percussions, ou sons de piano jouet pour la chanson pour une amoureuse inconnue, écrite en marchant « pendant que je dormais ». Des pianos auxquels on a le droit de toucher, contrairement à ceux purement décoratifs, à côté de livres jamais lus, des riches qui n’aiment que parader. Les chansons défilent entre émotions improvisées, mélancoliques ballades, contes fantastiques ou noirs délires post apocalyptiques – « On ira manger des glaces en creusant la couche d’ozone » étant la proposition la plus réjouissante – truffées d’anecdotes. Vous y apprendrez comment grâce à Louis XIV est né l’ancêtre du piano arrangé, un clavecin dérangé, ou comment le plat préféré des groenlandais, le kiviak, est un régal dangereux constitué de phoque farci de pingouins faisandés. Véridique. Bon appétit !
À ceux qui vi[vent] comme un oiseau … et même aux autres le troubadour vagabond dédie « Je chante par tous les temps et pour tous les gens ». Les mânes de Trenet et d’Higelin lui chatouillent les pieds…
CATHERINE LAUGIER
Encore un bel hommage ! Merci Michel et merci Manu.