Thibaud Defever et le Well Quartet… Vraiment oui ! Very well !
Il en aura fallu du temps, des chemins de musique et de mots, un départ et un duo qui se mue en solo, des complicités nouvelles avec Sylvain Berthe, Sophie Forte ou Anne Sylvestre, tant de partages de scène qui mettaient en lumière son talent pour qu’enfin Thibaud Defever se produise sous son propre nom. Presque Oui c’était presque lui et il ne s’était pas jusqu’aujourd’hui autorisé à s’afficher ainsi, en raison peut-être d’une histoire passée tant artistique que personnelle, un cap à dépasser. Voilà donc le pas franchi, le temps de s’affirmer, celui où s’est fait sentir le besoin, comme il le dit lui-même, « d’enlever du Presque pour être un peu plus dans le Oui. ».
Et quelle belle affirmation ! Thibaud est là dans tout son éclat, en orfèvre du verbe et des notes, brillant mélodiste et parolier. Voici dix textes, dix poèmes écrits en collaboration avec Isabelle Haas, autant de regards sur l’intime, les bouleversements intérieurs, sur le tumulte des relations, celle qu’on a à l’autre, à soi-même, son passé, son enfance, sa part de mystère. Il nous dit aussi cette envie de lâcher prise, de vivre l’essentiel, le calme retrouvé, la sérénité gagnée.
Thibaud se dévoile mais, loin de se mettre à nu, il s’est paré des plus beaux atours en réalisant un rêve ancien : celui de s’entourer d’un quatuor à cordes, le Well Quartet ensemble entièrement féminin avec Widad Abdessemed et Luce Goffi au violon, Anne Berry à l’alto et Chloé Girodon au violoncelle. Elles ne se contentent pas d’orchestrer les mots mais les illustrent ainsi que le soulignait ma consœur et amie Catherine Laugier dans la chronique de ce spectacle : « elles sertissent les textes-bijoux de Thibaud dans un écrin qui est loin de n’être que classique, scénarisent la tragi-comédie de la vie. Les cordes, pincées, heurtées, frôlées, caressées ou grincées, véritables créatrices d’ambiances, incarnent les sentiments et les éléments, l’air, la terre et le feu, et surtout l’eau ». On ne peut que saluer le travail remarquable de Jean-Christophe Cheneval aux arrangements. Illustration encore avec le pinceau léger de Maïwenn Le Guhennec, tout de finesse, qui pose sur le livret silhouettes et ombres, couleurs d’orage, de terre, de mer dans de subtiles harmonies avec les climats de chacun des titres. Un bien bel ouvrage sous la direction artistique d’Antoine Sahler.
Le temps qu’il faut est celui dont l’ami accueilli a besoin pour se reconstruire (Ici tu peux te taire et laisser faire les saisons) mais aussi l’espace nécessaire pour un retour sur soi, sa propre vie, ses écueils, ses tourments et faire face à ces vents contraires qui sans cesse nous poussent au naufrage. Pourtant si le ton est grave, il n’en reste pas moins léger, la voix se fait douce parfois feutrée toujours claire, limpide et lorsque le temps est à l’orage, c’est la course folle des mots et la frénésie des instruments, guitare et cordes mêlées, qui impriment le rythme.
On sent dans cet album une envie de tourner la page, comme dans Brûle où il voit, détaché, disparaitre dans les flammes sa maison d’enfance, satisfait de ne pas avoir à faire le tri, à décider de ce qui doit être gardé ou détruit. Apaisé, Thibaud jette un regard parfois teinté d’ironie sur le chaos des relations, cette vraie boucherie qui ne laisse derrière elle qu’un champ de mines (L’artillerie lourde) mais qui se résout toujours par un retour vers le Nous et la certitude d’un amour durable. Résilience encore avec cette angoisse diffuse, cette étrange inquiétude devant la disparition de l’être cher qui se perd dans la forêt et cette prise de conscience : « Tu ne reviendras pas et je prends les devants / De là où nous vivions, je m’éloigne à grands pas / Je me doute à présent de ce que les grands arbres attendaient de toi ».
Ce temps est aussi celui du retour à l’essentiel, d’un nouveau départ, d’une fugue vers un ailleurs où serait la vraie vie, d’une errance rêvée (Je dérive), d’un retour aux sources, aux heures où l’on pouvait vagabonder, laissant derrière soi tout poids inutile, toute entrave, toute attache, partir sans se soucier de qui s’inquièterait de nous : « Et puisque qu’on a pris l’eau, qu’on a presque plus rien, autant laisser en plan le peu qui nous retient / Est-ce qu’on y croit encore à l’appel du lointain ». Si l’on essuie des tempêtes, l’espoir est dans l’abord d’une Ile, d’un lieu où trouver le repos, d’une terre d’asile. Peut-être est-ce cette soif de voyage, cette envie d’exil qui rend Thibaud si proche de ces migrants qui viennent s’échouer sur nos rivages à qui il dédie une émouvante chanson subtile et poignante (Des oiseaux).
Avec cet album, Thibaud Defever fait encore une fois peau neuve et la mue est somptueuse ! Textes, musiques, arrangements, illustrations tout s’accorde dans une belle alchimie. Pourtant si maitrise et virtuosité sont au rendez-vous, il y a toute la place pour l’émotion, la délicatesse, la sensibilité, le mystère, la rêverie. Alors ! Laissons-nous emporter dans cette « invitation au voyage ». Partons à la dérive ! A la recherche nous aussi de notre île !
Francis PANIGADA
Thibaud Defever et le Well Quartet, Le temps qu’il faut, Production : Association Presque Oui / Sostenuto / Absilone – Distribution : L’Autre Distribution (2020)
Le site de Thibaud Defever c’est ici ; ce que Nos Enchanteurs a déjà dit c’est là.
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