Titi Zaro, défricheuses de rêves
« Méduses encrées sur nos tignasses / Serpents diadèmes nous entrelacent ». Bien sûr il y a ce premier titre, qu’on tiendra pour presque autobiographie. Mais, même sans lui, on devinerait sans mal la singulière qualité de ces deux femmes-là : « Gorgones à tresses rouillées / Dévalant la falaise / Défricheuses de rêves / Défricheuses sans trêve / Les tentacules mêlées / A demi sœurs siamoises… » L’une chante, l’autre aussi. La Réunionnaise Oriane Lacaille et la Séfarade Coline Linder, enfants de la balle (l’une est filleule du chanteur de Lo’Jo ; l’autre, fille de l’accordéoniste réunionnais René Lacaille), toutes deux nourries au lait de Lo’Jo chez qui le duo est né, ont tissé depuis quinze ans une mosaïque de musiques, de poésies et de cadences, de différences et de complémentarités.
Ces deux-là sont sœurs de tous les dingues de la musique, de ceux qui dans leurs cornues bidouillent et bricolent des sons, mixant des ingrédients, combinant des posologies, mêlant les cultures, leurs sons, leurs instruments. « L’instrumentarium parfois surprenant et expérimental des ces deux sourcières donne des saveurs nouvelles à la chanson française. Titi Zaro vivre le maloya, dévore les langues française et créole, frémit le tribal ancestral, et dompte l’invisible de nos failles ». Hypnotiques chants de sirènes, kaléidoscope de fragrances, de nuances, de notes et d’émotions. Nos gorgones font un juteux trafic de rêves qui se contrefout des frontières et de leurs visas.
Gorgones, louves, putains, amoureuses… par cet album Titi Zaro rend hommage aux femmes « qui, de leur sueur, de leur courage et de leurs sourires, protègent la beauté du monde ». Des « Crieuses de beautés dans les rues malfamées / Dompteuses du quotidien pour un morceau de pain / Trappeuses de lumière en armure de dentelles / Guerrières des montagnes sublimes à faire fondre le ciel… »
En français, en créole et en anglais, l’évidente et superbe poésie de ces deux-là se répand sur toutes les plages d’un disque dont chaque nouvelle écoute régale l’ouïe. « Je me noie de Mai merle moqueur / Rêves irisés » chantent-elle avec Alexis HK, co-auteur de ce titre. Dans cet album il y a aussi la participation de Gorgio Conte et des sœurs Nid El Morid, les chanteuses de Lo’Jo… Rien n’est vraiment exubérance dans l’interprétation, dans l’orchestration. S’il y a magie et folie, c’est dans le dedans des choses, la subtilité. S’il y a mystère, ce serait peut-être dans le parlé créole et ces voix en surimpression…
Il y a dans ces mots la douceur et la frayeur, la tendresse et la violence : « 118 coups de masses se reflètent / Sur les géants de pierre en miettes / Fracas de marbre sur Mossoul / Sang et poussière se mêlent et coulent… » D’un tableau l’autre, nous sommes l’oreille rivée à ces louves, à ces mots qui percutent autant que les percussions d’Oriane. « Suis-je à l’heure de la colère / Lorsque les larmes aux yeux inondent / D’une rouille lacrymale le monde ». Sept ans après le précédent, ce nouvel album est plus que réussite : il est simplement splendide !
Titi Zaro, L’hymne des louves, NoMadMusic/[Pias] 2020. Le site de Titi Zaro, c’est ici.
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