Karimouche, bonne pêche !
Troisième album pour Carima Amarouche, notre Karimouche, après Emballage d’origine en 2010 et Action en 2015. Un tout les cinq ans.
Karimouche est rebelle aux étiquettes qu’on a du reste bien du mal à lui coller, si ce n’est lui en donnant plus qu’il n’en faut. Restons-en à « chanson » : c’en est. Certes frottée au hip-hop, forte de beat-box, d’influences musicales dont le titre de l’album, Folies berbères, ne laisse aucune ambiguïté, même on on ne saurait résumer l’album à cette seule identité.
C’est toujours l’allant que l’on sait, le débit de Karimouche. Des propos aux beats d’amarrage. Et ces machines, qui bidouillent les sons puissants d’electro, de dubstep et de trap, nez à nez avec des mélopées orientales sorties de bendirs et de ghaïtas. De l’auto-tune, du mix un max, une voix qui vous agrippe et ne vous lâche pas, c’est comme c’est mis sur l’étiquette : pures folies ! Ce disque est tourbillon avec, si telle est la volonté des programmateurs, des tubes en puissance, comme cet Apocalypse now qui ouvre l’album et pose le décor : « Il faudrait rester cool, cool, alors qu’on coule, coule / Apocalypse now, et wesh wesh c’est la dèche, on continue le show, on fait brûler la mèche ! » Ah, Karimouche ! c’est une voix avec ses habituelles fioritures qui nous le rendent entre toutes unique. C’est aussi un esprit bien trempé, frondeur comme on l’aime, aux idées arrêtées, qui pense ce qu’elle chante, qui chante ce qu’elle pense. Le chante haut et fort, avec sa gouaille digne d’une lointaine Arletty, héritière à sa façon d’une chanson très réaliste. Comme dans La promesse de Marianne : trois portraits, trois personnes issues de l’immigration maghrébine, trois vies qui se heurtent à l’inégalité républicaine, trois échecs d’une France qui promet beaucoup et ne sait pas tenir : « Te souviens-tu de ta promesse ? Ton Liberté, Égalité, Fraternité ? J’avais le carton d’invitation pour ta kermesse… Pourquoi t’as pas voulu me laisser entrer ? »
Sans faire l’exhaustif inventaire de cet album en tout point estimable, passionnant même, signalons ce titre, Bu?ul (prononcez bougnoul), terme que Karimouche brandit fièrement ce terme injurieux comme un fier étendard, une identité revendiquée, comme des noirs peuvent eux-mêmes parler de nègre, de négritude. Ce titre a déjà secoué plus que de raison cette fachosphère qui gangrène jusqu’à la nausée les réseaux sociaux, y déversant son irrationnelle haine. Des réseaux dont notre chanteuse fustige dans Polluée : « Et voici comment je suis devenus stupide / Mes idées sont délurées / Fatigué, pollué, mon cerveau est pollué ».
Telle est Karimouche, fonceuse, pasionaria. On peut l’aimer pour ça et on aura déjà raison. On peut aussi et surtout l’apprécier pour son art abouti, qui alterne le chaud et l’effroi, la pure tendresse (superbe Bonheur !) et la saine colère. Pour sa musique qui fait le pont de tant de cultures. Rien que le (joli et subtil) titre de cet album l’atteste.
Karimouche, Folies berbères, Blue line/At(h)ome 2021. Le site de Karimouche, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit d’elle, c’est là.
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