Pascal Mary… Sereine mélancolie
« La mélancolie est le plus légitime de tous les tons poétiques » disait Edgar Allan Poe, mais son illustration n’est pas des plus aisées, il faut pour cela une plume subtile pour que ce sentiment ne soit nullement pesant. Ceci n’est point l’apanage de tous, le talent doit être au rendez-vous. Ainsi en est-il de Pascal Mary ! Ce nouvel album en est la preuve s’il en fallait encore.
Le voila qui se présente à nous, pochette toute imprégnée de bleu (Frank Loriou), comme l’océan où l’on peut se baigner mais aussi se perdre, comme l’azur et sa course des nuages que l’on peut contempler avec nostalgie, libéré et détaché des contingences terrestres, comme ces bleus de l’âme, ces blessures intimes qui sont au cœur, depuis bien des années, de l’œuvre de Pascal. Ce disque est celui d’une maturité forgée par le temps et les épreuves, de celles qui donnent au regard une lucidité, une vision de l’existence, de sa vacuité, qui confèrent à ce cinquième album une sérénité, une légèreté. C’est peut-être pour cela que nous aimons Pascal, il panse nos blessures en même temps que les siennes, il apaise nos douleurs, notre mal de vivre.
Aujourd’hui, le ton s’est adouci, point ici de traits caustiques ni d’humour féroce, même si en concert l’artiste continue de souffler le chaud et le froid, seulement quelques pointes d’ironie dont une bien sentie sur la pandémie, le confinement et la joie des animaux de ne plus avoir à supporter le prédateur humain (Prière des animaux).
On retrouve les thèmes qui lui sont chers : l’amour tout d’abord avec cette injonction au bonheur, sans enjeu, sans attente pour que le lien ne se transforme en blessure, l’envie d’une tendresse à vivre simplement dans l’instant (Du vide plein les poches), un lien amoureux qui sans cela peut petit à petit s’user, se détruire et nous laisser exsangue et anéanti (J’avais surement oublié), cette passion si passagère, si volatile, cette tragi-comédie dont il se moque avec ironie dans Amoureux : « Combien de cirques et d’offensives / Combien de strass et de glamour / A l’heure où le bonheur de vivre / N’a d’autre horizon que l’amour »…
On se souvient de cette ancienne chanson qui nous invitait à vivre d’un rien, à savourer le présent parce qu’ici bas rien ne dure, rien n’est constant. C’est cette sensation d’impermanence qui est un des autres moteurs de cet opus, avec l’alerte Faut bien que ça passe faussement guilleret auquel fait écho Tu ne verras plus, couplets amers et ironiques, constats l’un de la futilité des choses, de leurs vanités, de leurs illusions, l’autre de la beauté et la fragilité de l’existence.
Mais c’est de l’acceptation que vient la sérénité, savoir que nous ne sommes que de passage (Passer) et pouvoir ainsi vivre sans connaitre notre raison d’être. Oui ! il faut vivre sans attendre, ne rien laisser échapper, se dépasser, savourer chaque instant et s’il faut quitter la ronde le faire dans la certitude de ne pas « avoir remis / chaque jour chaque nuit / le bonheur à demain / et mourir de dépit / d’avoir vécu en vain ». Ainsi pourra-t-on tirer sa révérence, sans crainte, sans regret, sans larme (Je veux partir content).
Bien sûr il y a les blessures, les roses ne sont pas sans épines, ni le ciel sans nuages, et pour celui qui affronte le monde le cœur à vif, tout peut être morsure, égratignure (A tout l’on s’écorche) à moins qu’il ne se laisse prendre par ce vague à l’âme, cette torpeur, cette chape de plomb qui ne dit pas son nom (Je m’ennuie). Pascal Mary est un auteur rare, capable d’embellir tout tourment, de sublimer toute douleur. Une belle démonstration est ce titre dédié à sa mère (Petite sirène d’eau douce), souvenir d’un destin tragique, une merveille de délicatesse et de poésie qui finit ainsi : « Petite Ophélie de fortune / Habillée de vase et de lune / Voguez en paix / Mes larmes ont creusé des lagunes / Où vous pourrez, jours d’infortune / Vous reposer ». Emouvant !
La voix est là, caressante, enveloppante, douce ou puissante. L’écriture est ciselée, précise. Les mots, qu’ils soient incisifs ou tendres, sont justes, le piano de Martin Leray les souligne, entre rythme et douceur, tendre ou enlevé, en parfaite osmose avec le chant de Pascal. Un disque qui s’écoute avec attention, avec délectation, que l’on se repasse sans modération. Un album indispensable pour cet artiste qui sait rendre palpable l’essentiel, qui le fait avec tout ce qui le caractérise : du charme, du talent et de l’élégance !
Francis PANIGADA
Pascal Mary, Du vide plein les poches, 2021. Le site de Pascal Mary c’est ici. Ce que Nos Enchanteurs à déjà dit, c’est là.
Petite sirène d’eau douce (A ma mère)
Prière des animaux – clip
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