Lynda Lemay « S’il est une période où la musique est nécessaire c’est bien maintenant »
Étonnante Lynda Lemay. C’est en écoutant jadis deux chansons de Francis Lalanne (interprétées par le québécois Alain Quessy) que la native de Portneuf, près de Québec, a décidé alors d’écrire avec les mots de tous les jours. Depuis trente ans ses chroniques, certaines rieuses et d’autres moins, ont conquis un public fidèle et touché par sa poésie domestique aux mots ciselés. « J’écris des chansons pour me faire du bien » assure-t-elle en évoquant la deuxième partie de sa vie. La voici de retour avec deux premiers albums inaugurant un programme de onze albums, 121 chansons, à découvrir sur trois ans. Un défi en temps de pandémie. Le côté sombre de l’humanité, avec ses tourments et ses victimes, se dessine dans ces nouvelles chansons mises en images. C’est pour briser bien des silences. Les cœurs broyés connaissent leur mutation en d’étonnantes histoires d’amour. Ces chansons qui parlent de toutes les générations et tous les sentiments. Du berceau aux derniers moments de vie. Aucun sujet ne fait peur à la Québécoise. Elle le prouve en attendant de la retrouver sur scène. ROBERT MIGLIORINI
NosEnchanteurs / Robert Migliorini : Après trois ans de pause vous revenez avec un programme ambitieux : sortir 11 albums de 11 chansons chacun en 1111 jours. Vous lancez ces jours les deux premiers albums (Il était onze fois et Des milliers de plumes, productions Callimero) d’une entreprise qui s’étalera donc sur trois années. Qu’est- ce qui vous a convaincu de vous lancer dans cette forme de marathon à l’heure de vos trente ans de carrière musicale ?
Lynda Lemay : J’avais besoin de faire le point notamment après le décès de mon père. Et donc de me redire ce que finalement je préfère dans ce métier. La réponse est venue, évidente et nécessaire : il y a bien sûr les spectacles mais surtout ce besoin de créer, d’écrire, de composer. Donc avec un projet de cette ampleur je m’offre une liberté nouvelle et absolue. J’ouvre un espace pour mes histoires en usant de toutes sortes de formes comme le cinéma par exemple (Ce que j’appelle des mélos métrages), je choisis de nouvelles couleurs musicales. Avec le sentiment de quasiment reprendre ma carrière à zéro après avoir passé le cap de mes 50 ans.
Avez-vous hésité à démarrer ce marathon alors que nous sommes frappés par une pandémie ?
On peut estimer que je ne suis pas très prudente alors que tous les concerts sont reportés et que le métier est en suspension sinon menacé. Tous les artistes sont condamnés désormais à trouver de nouvelles manières de pratiquer leur métier. Je suis de la vieille école. Lancer un album sans les concerts c’est risqué. Je me suis depuis les confinements connectée aux réseaux sociaux. Avec mon équipe j’ai donc hésité un instant. Ma conviction n’a pas changé : je crois dans les forces de la vie et j’ai pris ma décision éclairée à cette lumière. Et puis s’il est une période où la musique est nécessaire c’est bien maintenant. Il faut laisser entendre des mots sur nos maux, livrer des récits, conter des histoires qui nous aident à sortir de nous-mêmes. Mes chansons peuvent faire du bien. J’ai mis en quelque sorte ces chansons au monde. Elles vont avoir le temps de se faire connaître et de rejoindre le public. Le prochain rendez-vous est déjà fixé, en mars 2021, avec un nouvel album. Je vais ainsi avoir le temps de peaufiner le programme. Sans le stress qui viendrait avec.
Comment avez-vous construit votre répertoire ?
J’avais envisagé de répartir les albums en onze thématiques successives. Avec mon équipe j’ai finalement abandonné la formule. Je préfère une approche plus souple. Je peux changer l’ordre des chansons jusqu’à la dernière minute. Ainsi dans les premiers albums le titre Des milliers de plumes rend hommage à toutes les personnes qui sont mortes seules. Je peux citer encore parmi les chansons récentes Je t’oublie et Ta robe. Objectivement les premiers thèmes que j’aborde sont plutôt lourds : la fin de vie, le poids de la vieillesse et le deuil. Et plus largement les tourments des familles, les peines d’amour, le point de vue des victimes. Un projet comme le mien sur la durée me permet de trouver les bons angles pour évoquer ces situations. Ce n’est pas entièrement nouveau dans mon répertoire mais je n’avais pas encore tout dit. Loin de là. On pourrait parler d’une forme de thérapie. Pour écrire je reste fidèle à mon point de vue : pour moitié évoquer des situations vécues et pour l’autre moitié parler de ce que j’observe, ce qui est dans l’air du temps. Parce que je me sens proche de chaque être humain. C’est comme si je vivais ces situations à mon tour.
Comment vous mettez-vous dans la peau de vos personnages ?
Je ne me sens loin de rien. Quand je parle de violence je suis capable d’imaginer une personne violente, alors que si je ne le suis aucunement. J’aime beaucoup l’approche psychologique. Je crois que si je n’avais pas été chanteuse j’aurai été tentée par l’étude de cette matière. On s’éloigne de mon rêve de jeunesse, archéologue !
Vous écrivez beaucoup. Comment travaillez-vous ?
Je doute surtout beaucoup. Je peux tester jusqu’à une dizaine de musiques sur un texte. Il faut trouver la note juste pour évoquer une situation. Certaines chansons sont en cours depuis quinze ans. Il faut parfois du temps. Cela ne me dérange pas : je suis une passionnée.
Les 121 chansons sont enregistrées, en attendant de figurer dans l’un ou l’autre des albums.
Je me consacre plus spécialement aux duos enregistrés au fur et à mesure de ces trois ans à venir et qui figureront sur les 11 albums. J’ai choisi de mettre onze fois en musique un même titre: Mon drame où j’aborde la question du genre. « J’étais une femme mais rien n’y paraissait » explique dans le texte, à 82 ans, Charles qui veut qu’on l’appelle Jeanne. C’est ma façon, une fois encore, comme j’aime le faire sur d’autres sujets, de briser le silence sur des situations trop souvent occultées. Au total mon nouveau défi devrait me permettre d’expérimenter de nouvelles voies et de révéler d’autres facettes de moi-même. Un exemple : je réfléchis à offrir quelques chansons disons plus humoristiques, parfois même déplacées. Qui sait si je franchirai le pas ? Un second exemple : je compose désormais au piano. Je me sens de plus en plus à l’aise avec cet instrument. Sans quitter la guitare.
On est loin d’une certaine naïveté qui vous est parfois opposée ?
Ne plus conserver cette forme de naïveté que l’on peut parfois me reprocher dans l’écriture et la musique me rendrait triste ! L’essentiel est ce qui me fait vibrer : entendre la beauté d’un accord, goûter la force d’une expression. Plus largement j’aime aussi dire que je n’ai pas de pudeur inutile quand j’ai une plume à la main. Je suis d’une lucidité absolue. Je creuse loin dans ce qui fait la beauté et les drames. Avec mon style. J’assume ce que je suis, ce que je pense. La vie est trop courte pour se prendre trop au sérieux. Je mène ce projet avec sérieux sans me prendre au sérieux.
Dieu semble en embuscade dans nombre de vos textes. Faut-il s’en étonner ?
J’ai été élevée dans une famille croyante. Mon premier emploi a été celui de sacristine dans l’église de ma ville. Avec ma sœur je faisais le ménage en écoutant la musique de Dire Straits. Mon premier micro a été celui de cette église ! Aujourd’hui j’ai foi en un Dieu qui incarne la bonté humaine, une force à laquelle l’humain peut se connecter. Faire confiance à ce credo, c’est ne pas se tromper et traverser les difficultés. En toutes circonstances il y a du positif. A ma place je cherche à trouver les mots pour redonner espoir face à ce qui nous tombe dessus.
Le site de Lynda Lemay, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit d’elle, c’est là.
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