Andréel, explorateur du continent féminin
Andréel n’en est pas à son coup d’essai, puisque Tu m’apprends et son septième album, dont un pour le jeune public. Mère artiste, tombé dans la musique quand il était petit, formation classique, goût de l’écriture, passage par le théâtre, interprète dans Le kabaret de la dernière chance de Pierre Barouh, coup de cœur pour la musique française via Brel, et pour la musique brésilienne, il débute en solo avec le siècle. Dès Ligne 2, premier album autoproduit en 2003, il a trouvé son style, une nonchalance caressante, une fantaisie non dénuée de profondeur, sur des airs de samba bossa jazz tirant parfois sur la mélodie classique, avec de jolies trouvailles d’écriture. La voix, ah la voix, naturelle et douce, elle peut faire penser à celle de Moustaki, Salvador dans ses chansons douces, ou même parfois Philippe Katerine quand il fait passer la tendresse avant la provocation. Ecoutez plutôt cet Ange « Tu as deux os sur les hanches pour accrocher l’amour ». Comme si Ferré ou Gainsbourg avait abandonné leur cynisme pour se noyer dans la tendresse.
Sur son dernier opus Andréel ressort sur fond noir, chaîne d’argent sur buste dénudé, barbe poivre et sel bien taillée, pomme d’Adam en avant et regard mystérieux dissimulé par des lunettes de soudeur reflétant une image en nid d’abeille. Ce qui donne une mâle attitude extravertie. Pourtant l’album n’est pas celui d’un macho. Si Andréel se plaît dans un univers féminin, il ne semble pas le considérer comme un territoire de conquête destiné à satisfaire sa seule libido.
Habitué des duos avec des partenaires féminines, actrices plus souvent que chanteuses (naguère Pauline Croze, la comédienne turque Sibel Kekilli, L’étrangère traquée du film et de la chanson éponyme, ou Lolita Chammah), il laisse ici la parole et la voix aux femmes auxquelles ce dernier album est quasiment dédié, avec aussi ces quatre musiciennes, Alaine Beaumont à la contrebasse, Elodie Brémaud au violoncelle et aux chœurs, Claire Benillouche au piano, Florence Kraus aux saxophones.
Isild Le Besco écrit deux textes, Mon manque sur le désir féminin « Alors viens tout entier en moi. Je veux me souvenir / au plus profond de moi tu es là, maintenant », qu’elle laisse chanter par Judith Chemla, actrice, comédienne et autrice de théâtre, auquel répond en toute parité celui de l’homme. Et Pourquoi je te veux qui tente de définir la force fusionnelle du couple, au-delà des corps, à l’âme, au cœur.
La chanson-titre tire son inspiration de la lecture des Nourritures terrestres de Gide. Plus littéraire, elle encense la faim de vivre, est quête de permanence de la volupté : « Je sais comment prolonger ma souffrance / mais mon plaisir, comment l’apprivoiser ».
Le duo fusionnel avec la chanteuse Amandine Bourgeois : « Ton existence me transmet une plénitude apaisée », est une chanson orgasmique qui finit « en phase », commençant soft en couleurs pour finir très hot « Je m’oublie comme je peux, je m’oublie dans ta bouche / Je m’oublie dans tes veines, je m’oublie dans tes yeux ».
L’auteur semble chercher en la femme la matrice universelle « J’aime me fondre, me perdre, dans la nature immense / Me noyer dans tes mers et brûler tes forêts », image que l’on retrouve dans cette quête chantée avec l’actrice Natacha Régnier : « Le paysage m’éblouit (…) retrouver la matière (…) Et rien n’attendre d’autre que le doux paysage d’une femme épanouie ». Avec ce souci de l’autre, toujours : « sortir de toi les émotions prisonnières (…) ne pas tenter de prendre en toi ce que je cherche et qui n’y est pas », ce qui n’exclut pas le sentiment de jalousie.
La chanteuse de jazz Lucile Chriqui, habituée aux rythmes brésiliens, prête sa voix à l’évocation urbaine expressionniste et sulfureuse du Boulevard Magenta « artère pénétrante dans la ville en sueur », qui cache sous ses rythmes séduisants une lucidité tragique sur ce bon Boulevard où « la misère et la peur se marchent sur les pieds ».
Cet album sensuel et voluptueux est plus qu’un Kama sutra. Plutôt un parcours initiatique d’un homme dont le seul but est de vous satisfaire, Mesdames, et de se perdre en vous, une recherche du graal féminin, et plus largement, de la beauté de la vie et de ses nourritures terrestres, qui commencent par la chanson, la danse et bien sûr l’amour (Les gens qui chantent). Élégant, tendre, richement orchestré, saluons au passage Sébastien Lovato aux claviers et Nicolas Parent à la guitare, les percussions et les Vents (flûte, bugle, clarinette). Qui se permet même de subtils retraitements de voix et de légères dissonances sur cet aventureux Le désert m’appelle, belle ouverture vers Un endroit inconnu et ses fulgurances audacieuses. Un disque pour accompagner vos jours et vos nuits.
Catherine LAUGIER
Andréel, Tu m’apprends, Inouïe distribution (2021). Le site d’Andréel, c’est ici.
Je m’oublie, avec Amandine Bourgeois
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