Non essentiels !
Le miel, les myrtilles, des girolles terrées dans la forêt, l’amour, la beauté, le vol d’un oiseau, le bonjour d’un voisin, le sourire d’une inconnue, l’anisette en terrasse, les plaisirs de la chair et de la chère… À bien y réfléchir, rien n’est essentiel : on peut vivre sans. Un bon bouquin, au cinoche un film de Caro et Jeunet, les postillons de Brel en scène, l’envoûtant chant de Loreena McKennitt… non, rien n’est essentiel. Comme dit Roselyne B., copine d’Hanouna et présentement ministre de je-ne-sais-quoi : « Les artistes, ils sont là, on les aime mais ils ne sont pas essentiels ».
Si ce n’est la nécessité de faire fonctionner l’outil productif et d’engraisser les possédants, rien de ce qui nous diffère de l’animal n’est nécessaire. De toute façon, les besoins accessoires sont largement pourvus par l’État : télé pour tous et Arte concédée aux dissidents.
Plus de librairies, plus de cinémas, plus de salles de théâtre, plus de concerts, plus d’expos, plus de festivals, plus de cirque, plus de… Plus rien ! C’est vrai que ce n’était pas vraiment essentiel.
On se plaira à croire les propos attribués à Churchill, quand on lui aurait demandé de couper dans le budget des arts pour l’effort de guerre : « Alors pourquoi nous battons-nous ? » Pour enthousiasmante qu’elle puisse être, cette citation du premier ministre britannique, homme de culture qui plus est, est erronée. Mais, effectivement, pourquoi nous battons nous ? Épris de littérature, de musique, de chanson, de théâtre, de cinéma, de bédé, d’art plastique, de mime, nous savons, instruits par l’air du temps autant que par des déclarations et actes du gouvernement que l’art est dispensable, « non essentiel » qu’ils ont dit, décrété, jugé. Non essentiels les salles de spectacles, les cinémas, les conservatoires, les libraires, les disquaires, les médiathèques. Jamais le « métro, boulot, dodo » n’a été aussi actuel que pendant cette deuxième vague. Et pour celles à venir. Voici le strict pré carré de nos libertés : bouffer, dormir, nous rendre au boulot et bosser, bosser.
À tous les maux de notre société, à notre mal-être grandissant, à notre besoin de savoir, de comprendre, la culture nous semble être une réponse. Mais, d’un ahurissant mépris, l’État éteint Les Lumières. Tout ce qui fait sens est désormais facultatif. D’un couvre-feu, d’un confinement, on peut tout arrêter. Peu importe si les acteurs de la vie culturelle appliquent plus et mieux que d’autres les consignes de sécurité, les gestes-barrière : ils ont tout faux au seul prétexte qu’ils ne sont pas essentiels. Remplir plus qu’il n’en faut les rames du métro ou du RER n’est pas grave, ce n’est d’ailleurs nullement contagieux. Mais fréquenter une médiathèque, se faire une toile, applaudir un concert en petite jauge, c’est pure folie !
« Tout ce qui dégrade la culture raccourcit les chemins qui mènent à la servitude » écrivait Camus. La Covid a bon dos. Sans la culture, la vie se dévitalise, se déchausse comme une dent. Nous finirons édentés, ça peut faire sourire. Ça ne nous empêchera pas de vivre, de bouffer (avec une paille il convient), de dormir, même de nous reproduire, me souffle la partie reptilienne de mon cerveau.
À plus d’un titre, nous sommes le pays de l’exception culturelle : le coq gaulois s’en est assez targué. Ou plutôt nous l’étions. Sans préavis, Macron, Castex, Bachelot & Cie nous signifient que la culture n’est plus, ou n’est plus rien, ce qui revient au même. Ce qui fait sens est mis à l’index, proscrit. Sauf le giratoire : nous tournerons longtemps en rond.
Le spectacle vivant bascule dans le néant. L’échéance d’un retour au monde d’avant recule à mesure qu’elle avance. De confinements en couvre-feux, l’interdit fait ricochets. Bien sûr l’État compense, paye. Mais pas tout, et pas tout le monde. Le monde d’après sera un champ de ruines et de cadavres : c’est sûr qu’il chantera moins bien, moins loin.
La culture est un gage de démocratie autant qu’un antidote aux dérives liberticides. En a-t-on besoin pour départager le banquier et la facho ?
Merci pour ce texte superbement écrit et qui participe à une réflexion essentielle.
Un bon coup de gueule, ça fait un bien fou à celui qui l’écrit mais aussi à celles et ceux qui vont le lire !!!
Merci Michel pour ce coup de gueule essentiel
Entièrement d’accord. Quand sortirons-nous de ce désastre ?
Très bonne et saine humeur Michel ! Cela augure d’un livre prometteur…
Propos d’un « essentiel »…
Merci Michel Kemper pour l’intelligence de ta plume et ton soutien indéfectible aux artistes… ce qui me fait dire que tu en es un, comme ceux que l’on aime… Merci à toi !
Un petit mot, cher Michel, pour corriger une toute petite erreur dans ce texte salutaire : tu ne pourras plus bouffer, même avec une paille, celles-ci étant désormais interdites d’emploi depuis le 1er janvier ! (Cela dit, nos océans devraient, eux, se réjouir de cette initiative…)