Pierre Richard : le solaire a rendez-vous avec la nuit
« Il y a dans la nuit une évidence. Un drapé. (…) Je n’ai jamais aimé midi et sa lumière crue. Comme la télévision qui est le jour dans la nuit, un jour braillard et obscène. La nuit, la perspective s’abolit. Baisser de rideau. Fin. Plus d’horizon qui nous nargue. Plus de sollicitation du regard. (…) La nuit, je peux être moi, sans me déranger. J’ouvre la porte et me laisse envahir. »
Il n’est pas nécessaire, bien sûr, de présenter Pierre Richard, comédien populaire s’il en est. Comme on n’est pas sérieux quand on a 86 ans, notre clown lunaire favori se lance aujourd’hui dans une aventure discographique. Pas vraiment un disque humoristique, comme l’extrait du premier morceau reproduit ci-avant vous le laisse deviner. Pas vraiment un disque de chanson non plus, puisqu’il s’y révèle plutôt conteur sur fond musical. Un album hybride, donc. Audacieux. Hors normes. Envoûtant.
Un mot d’explication s’impose. Il était donc une fois une auteure de polar, Ingrid Astier, qui décide en 2014 de quitter sa zone de confort pour publier une divagation littéraire en forme d’abécédaire, Petit Éloge de la Nuit. Pas vraiment un récit, mais une somme de réflexions poétiques sur le monde nocturne. Pour marquer la sortie du livre, une soirée est mise sur pied dans une chocolaterie, avec lecture d’extraits choisis par Pierre Richard – un ami de l’écrivaine – sur une musique improvisée du musicien Jb Hanak. De cette rencontre entre ces 3 personnages-clés naîtra par la suite une pièce de théâtre, toujours du même titre, que le comédien interprètera à une cinquantaine de reprises de 2017 à 2019. Et enfin cet album, intitulé Nuit à Jour, qui devrait bientôt donner lieu – si tout va bien – à une série de concerts.
N’attendez pas de ce disque une succession de morceaux à la construction rigoureuse. Le pari est moins de nous expliquer la nuit que de nous en faire ressentir l’ambiance. Textes courts, tout en sensations, faits de réflexions errantes et de liberté exaltée. On y passe allègrement du coq à l’âne, telle une pensée qui vagabonde. Il sera donc question de datura, de belles de nuit, d’angoisses enfantines, de rêves et d’amoureux… Non sans humour d’ailleurs, comme dans L’appel de la nuit, abordant avec malice la détresse de l’adolescent interdit de sortie.
Pierre Richard se prête à cet exercice avec jubilation. Comédien aguerri, il a pris le texte à bras le corps, l’a mâchonné pour en extraire le suc et nous le sert dans toutes ses nuances, d’une voix posée et grave. On lui pardonnera volontiers de retomber parfois dans les excès qui ont pu faire son succès, dans une volonté de nous forcer le sourire. Nul n’était besoin pourtant de ces petites traces frôlant le cabotinage, qui alourdissent quelque peu les titres Nyctalope ou Cinéma.
A la guitare, à la basse et aux claviers, et à la composition bien sûr, Jean-Baptiste Hanak est le pivot de l’album. Mieux encore que les mots, sa musique nous emmène dans la pénombre, nous glisse dans le cocon bienveillant du crépuscule, nous fait goûter au charme de la tranquillité nocturne. La nuit vantée ici n’est pas celle des virées arrosées entre noctambules, mais celle où l’on prend le temps de se poser, où l’on se retrouve, où l’on est enfin soi. L’ambiance y est douce et paisible, hypnotique et ensorcelante, traversée çà et là de bruitages et effets électroniques. S’y abandonner n’est que plaisir.
Vous aimez Christophe, le plus bel oiseau de nuit de la chanson française ? L’Imprudence de Bashung est votre disque de chevet ? Alors, Nuit à jour est fait pour vous. Une belle réussite, originale et inattendue. A écouter le soir tombé, of course.
Pierre Richard, Nuit à jour, Modulor 2020.
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