Giscard d’Estaing, un accordéon, un éléphant, des oeufs brouillés
Aux premières heures de la Cinquième République, il eut été mal inspiré de convoquer le président de la République dans ses chansons. Dame ! ça ne se faisait pas et la censure toute puissante veillait au grain, Anastasie coupait les paroles mal à propos. Seul l’insolent Léo Ferré osait Mon général. Tandis que, respectueux, Bécaud (via Delanoë) chantait Tu le regretteras…
Georges Pompidou ne laissera dans la chanson que la musicalité de son patronyme : dou dou dou pomme pi dou, guère plus.
La chanson, dans toute sa plénitude, son impertinence, dut attendre 1974 et l’avènement de l’accordéoniste-maire de Chamalières pour à nouveau accompagner le locataire de l’Élysée, comme elle l’avait tant fait sous le Troisième République, lors certes plus sous l’aspect de l’anecdote et des mœurs. Là, avec Giscard, c’est à la dimension politique présidentielle que s’attaquait, façon de parler, la chanson. Essentiellement par les duettistes que furent Font & Val, jeunes impertinents formés à l’école du cabaret…
Giscard est jeune, dans le vent. Si ce n’est la particule, il se veut populaire et fait comme si. Et chante et joue de l’accordéon au Midi-trente de la grande nunuche télévisuelle qu’est Danièle Gilbert. Il convie les éboueurs à partager son petit déjeuner et s’invite à dîner chez les gens, le bas-peuple, comme nous le rappelle Pierre Perret : « Anne-Aymone nous a bigophoné en PCV / Laissez tomber les œufs brouillés / Il a le foie tout barbouillé / Elle a ajouté : guettez-nous donc sur le balcon / On prendra la deux-chevaux de Matignon / Et il aura l’accordéon ». Les Charlots surenchérissent, sur l’air de Madeleine : « …ce soir j’attends Valéry / Mais les œufs sont presque froids / Ils refroidissent toute la s’maine / Euh, Valéry n’arrive pas… » L’esprit bon enfant, un rien égrillard, se mue en impertinence à l’arrivée, inopinée, de Gilbert Laffaille sur la scène chanson : « J’ai dit à mes enfants / Mes bébés éléphants / Regardez l’homme blanc / C’est celui qui sourit / Et qui tient un fusil ». Le président et l’éléphant fait vite figure de protest-song à la française, d’autant qu’on n’est guère habitué à ce genre de chanson. Ça fait le bonheur de quelques programmateurs radios tels que José Artur, Gérard Klein et Pierre Bouteiller : Giscard traînera cette chanson telle une casserole, une diamant de Centrafrique… « Il dirige un pays / Où y’a pas d’éléphants / Qu’est-ce qu’ils ont là-bas ? / Ils ont pas d’éléphants / Mais ils ont des moutons / Des troupeaux de moutons… »
Ni tout à fait chanteurs ni vraiment journalistes, les iconoclastes Font & Val font bulldozer et foncent têtes baissées dans le marigot giscardien : « Il était si con le premier d’la classe / Que tout le monde voulait être le dernier […] Je vois messieurs-dames vos yeux qui s’affolent / Voulez-vous savoir ce qu’il en advint / Un beau jour on vit sortir de l’école / Quarante-trois artistes et Giscard d’Estaing ». Ils insistent, faisant de Giscard leur tête de turc. « On passe à côté des télés allumées / Quand Giscard cause, on s’empêche de dégueuler ». Au jeu du chamboule-tout, nombre de ministres s’y font pareillement dégommer.
Bien avant Souchon, Delpech chante l’air du temps. Dans son inventaire 71, il épinglait celui qui n’était encore que ministre des Finances : « Un faux Caban , un vrai Luron / Gérard Nicoud au violon / Et Giscard à l’accordéon ». Accordéon toujours avec Yves Lecoq et Sophie Darel : « Vous mes amis, qui n’avez pas la frite / Tapez des mains, allons je vous invite / A oublier que l’argent ça part trop vite / En entonnant la valse des prix / Car il y a Giscardéon / Il est si bon Giscardéon / Quand il est là Giscardéon / Il met la France en pâmoison ». Michel Polnareff, lui, a des ennuis judiciaires et plaide sa cause en chanson : « Monsieur l’président d’la République / Nous sommes, vous et moi, très épris de musique / Mais ce n’est pas au nom d’l’accordéon / Qu’il faut prendre des mesures pour me mettre en violon ». Les programmateurs radios ont les oreilles ailleurs quand ils passent en bouche le Quand t’es dans le désert du rockeur Capdevielle : « Tous les rapaces du pouvoir menés par un gros clown sinistre / Plongent vers moi sur la musique d’un piètre accordéoniste ». Vous connaissez l’accordéoniste, le clown sinistre c’est Raymond Barre, le premier ministre.
Terminons ce trop court survol de la chanson « giscardienne » par le dernier couplet du De passage, de Graeme Allwright, que nous avons tous tant fredonné : « J’ai entendu Giscard d’Estaing / Parler de notre destin / Je suis capitaine, soyez sage / Il faut garantir l’emploi / Pour vous et puis pour moi / Mais lui comme nous / Il est seulement de passage ».
En mai 1981, la mari d’Anne-Aymone est battu par François Mitterrand. La chanson abandonne Giscard et son piano du pauvre. Gênée aux entournures, la chanson de gôche va s’intéresser désormais à un président socialiste. C’est là une toute autre histoire…
Infos prélevées au livre « Si Sarkozy m’était chanté » (collection NosEnchanteurs) où, de De Gaulle à Hollande, tous les présidents de la Cinquième sont passés au tamis de la chanson, tous et surtout Sarko. Hors-commerce, on le commande ici.
Font & Val « Le premier d’la classe » :
Jean-Patrick Capdevielle « Quand t’es dans le désert » :
Graeme Allwright « De passage » :
Graeme a commis une autre chanson, ou il interpellait Giscard sur le Camp du Larzac. Ca s’appellait Larzac 75, sur l’album « De passage » et ca a je crois valu des probleme a un presentateur de France Culture ou France Musique qui a passe ca dans son emission le jour du 14juillet. Ca suggerait a Valerie-Anne, fille du president, de lui faire boire une tisane pour lui eclaicir les idees. Le meme presentateur avait passe egalement un titre de Maxime Le Forestier, je pense que c’etait « Parachutiste ». Tout pour s’attirer des ennuis evidemment…