Quoi ? Du rap québécois ?
Qu’est-ce que ça mange en hiver* le rap au Québec ? Pi d’abord, pourquoi parler de rap québécois sur un site de chanson franco ? Est-ce qu’on cause Oxmo Puccino, Lucio Bukowski, Hugo TSR, NTM, SCH et autres rapcronymes par ici ? Non ? Bon hein !
Il est drôle et rassurant d’ailleurs – aparté – comme il est difficile de définir les frontières entre rap, slam et chanson… Tout ce qui met la musique des mots en avant me semble digne de figurer en ces pages. Voici donc le top 5 du « rap keb » que je vous avais promis, il y a quelques lunes de cela.
« Un top 5 ? Pas mal intime, cette scène rap! » En effet, ce petit palmarès a été fait selon des critères bien précis : rappeurs d’actualité, qualité de la rime et du rythme, exit voix technologico-transformées (on laissera ça à Daft Punk, merci) tout comme exit gros rap de rue à l’américaine exhibant luxe et luxure à coups de mots peu petits, voire même plutôt gros. Donc voilà, cinq ce sera.
Les aficionados du genre diront sûrement qu’il s’agit de rap de beau-beau hipster. Et bien pourquoi pas. Dans le désordre, le voici :
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Le band survolté : Alaclair Ensemble
On commence avec un collectif qui frise l’expulsion de ce palmarès par ses paroles et sa diction parfois…déconcertantes : Tu pensais qu’c’tait ça que c’tait ? Non, non j’pensais rien. Entre bon québécois de la rue mâtiné d’angliche (comme tout bon rappeur qui se respecte) et autres mots d’origine inconnue, ce sont des pros pour faire rimer l’absurdité par le rythme du répété : Continue d’continuer pendant qu’on avance en mode turbo dans l’vide. Très en phase avec la réalité finalement. Comme quoi, certains textes méritent particulièrement le détour, tout comme leurs clips assez foutraques – avec une petite préférence pour leurs titres antérieurs. Et puis, ils ont la cote auprès du public.
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Le rappeur érudit : Webster
Mi-sénégalais, mi-québécois, Webster n’est pas qu’un arrangeur de mots, en témoigne le titre ci-dessous effeuillant les pages d’une Histoire moins connue : de la frise chronologique aux récits, Webster est en effet à ses heures hors-hip-hop un spécialiste de l’histoire esclavagiste à Québec. Un ptit air de MC Solaar dans les mots et les beats, son Quebec History X est donc un classique. Mais cela serait le résumer bien grossièrement : ses textes parlent autant de la grande vague de Hokusaï que de thèmes plus classiques du rap de rue américain…tout en s’en moquant – voir son titre « Rap Queb ». Et oui, son nom de scène à bien à voir avec un certain dictionnaire…
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Le poète en vogue : David Goudreault
Autre rappeur-intello, David Goudreault est en ce moment fort demandé, enchaînant invitations sur scène (dernièrement sur la scène du Congrès de l’Ordre des traducteurs) et multipliant collaborations. Il faut dire qu’il sait choisir ses thèmes, surfant par exemple sur la vague « santé mentale au temps de la COVID » avec plus d’aisance qu’un Australien peroxydé masqué (bonjour cliché honni). Mais dans tout ça, il y a surtout le talent ! Et c’est certain, l’homme au verbe vif a plusieurs fleurs à son poing (ou plutôt plusieurs théières, au nombre de cinq pour être exacts) : en plus d’être rappeur et slameur d’impro, David Goudreault est également écrivain. Mais bref, tout ça, c’est juste de la poésie (ft. Grand Corps Malade).
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Le sombre guerrier : Manu Militari
Manu militari, c’est les ombres d’une vie difficile et des mots qui frappent. Tout comme notre prochain candidat, Manu Militari a explosé sur scène lors de la dernière décennie, empochant entre autres deux Félix. Entre histoires humaines du quotidien – Y’a pas le temps qu’j’voulais tuer; et celles plus politiques – Ma maison brûle sur les rives d’un Richelieu rouge sang, tous ses titres ou presque se conjuguent au « je » et sont de vrais récits. Dans la lignée des groupes Sans pression et Yvon krevé [sic], on plonge avec lui dans un rap noir et rugueux, mots armés loin des mots boucliers de nos numéros 2 et 3. Bienvenue dans la réalité.
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Le politisé : Loco Locass
Un tantinet fleur blanche sur fond bleu, Loco Locass a eu sa période faste dans les années 2000 à 2010, balançant des assonances et des allitérations à la tête des politiques : Ahuris à la vue d’la bande d’abrutis qui bradent à bride abattue
Qui vendent à rabais, par la bande c’qu’y a pas de prix. Même sans être souverainiste, il n’y a pas de doute que ces paroles trouveront écho… S’ils ont perdu un peu de terrain aujourd’hui, leur veine politique ne s’est pas épuisée, mais a pris d’autres couleurs : ils viennent par exemple d’aider à la sortie d’un album aux voix autochtones, des voix qu’ils ont d’ailleurs toujours essayé de faire résonner dans leurs titres. Un incontournable !
Chose étonnante à première vue : les bons rappeurs en français viennent pour beaucoup de la ville de Québec. Y aurait-il donc climat propice dans la capitale nationale ? Remarquons aussi que les filles se bousculent ici peu au portillon… Hormis une certaine Marie Gold dont les paroles ne nous ont malheureusement pas vraiment convaincus, la voie est donc encore libre !
(Ah, et si vous voulez du « vrai » rap québécois, du-gros-du-lourd, voici un documentaire qui vous donnera quelques idées.)
Pour découvrir d’autres artistes québécois qui valent la peine sur NosEnchanteurs, c’est ici !
* Expression signifiant à peu près « mékessdonkça ? »
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