Sam Frank Blunier, éternité de l’espoir
On pense inévitablement à Darc, à Bashung en écoutant ce disque. Tous rockers sombres, écorchés, avec une commune recherche de spiritualité, de rédemption. Même s’il s’est posé Des questions, même si son visage apparaît en couverture avec plus de noir que de blanc, avec ce maquillage qui évoque aussi bien un code barre consumériste, que les barreaux d’une cage, il a déjà dépassé le stade de la nuit. Son œuvre est quête mystique de l’amour, « l’envie laisse la place pour / La tendresse qui me fuyait toujours », son Dieu est une déesse qui s ’appelle la Beauté : « Salut Beauté Inouïe, fais en sorte / Que tout s’arrange, s’illumine ». Ce poème baudelairien trouve son espoir « au delà des kalashs » déchirant la Syrie. La Beauté au-delà de l’horreur. C’est un insistant message d’espoir qu’il nous chante, qu’il nous dit sur tous les tons, tons qui pour autant n’ont rien de mièvre ni de sirupeux. De l’élixir électro, de la potion rock brûlante, de la voix vibrante et caressante, on en redemande en ces périodes d’incertitude et de peur. Quel étonnement que de l’entendre insister, articuler « ET TOUT REPRENDRA FORME UN JOUR / TOUT REPREND SA PLACE POUR / REFAIRE LE MONDE / RÊVER ENCORE CE MONDE ». En majuscules dans le texte. On veut bien être croyant à cet acte de foi là, Plus rien ne s’oppose (à l’amour).
Le lausannois Sam Franck Blunier a dépassé le stade punk froid de ses débuts en 1983 avec le mouvement Lozane bouge, mais aussi le rock détaché qui a suivi. On le devine assoiffé d’expérimentations tant sonores que textuelles. Ne nous fait-il pas dans ce troisième opus une véritable profession de foi, même si le rythme est entêtant, la parole provocante, l’accompagnement décontracté, avec ce beat, cette voix qui nargue presque d’un nananè(re), il en est sûr, « LE VERBE EST PLUS IMPORTANT QUE TOUT ». Si l’interprétation est distancée, le sens qu’il lui donne est tout fait de spiritualité, c’est bien la parole de Dieu faite homme qui l’a inspiré, celle du prologue de l’Evangile de Jean : « Le Verbe était la vraie Lumière, qui éclaire tout homme en venant dans le monde ». Plus largement, c’est bien un appel à dépasser la matérialité de nos petits objectifs, fric et frime, à trouver en soi ce qui est plus grand que nous, le soleil plutôt que l’ombre. On peut aussi l’interpréter comme l’importance qu’il accorde au texte dans la chanson, la musique étant l’air sur lequel s’envolent les mots.
Les deux premiers épisodes de sa pentalogie mêlaient chansons pop-rock sombres ou décontractées, et électro poèmes théâtralisés, à la Rodolphe Burger, d’une grande beauté plastique, avec des expérimentations sonores, et des textes qui font le parallèle avec les arts picturaux : le noir de Soulages, la lumière à faire naître, l’incandescence. « Je brûle ! », hurle-t-il dans ce premier album baptisé Il fait beau, avec son symbole solaire. Avant de prendre un Nouveau départ, d’une sereine harmonie.
Des filles fait penser à Bashung, à Thiéfaine, à Ferré, mais dans la chanson titre où l’on entend en fond sonore des rires féminins, on le voit aspirer à un idéal de tendresse, tandis que Madame cherche à resacraliser l’amour, instaurant la distance d’un vous. Cet album est consacré aux femmes, la sienne, les autres, sa mère aussi (Mom) qui lui a donné le goût de la spiritualité.
Plus l’on avance dans cette trilogie, plus les albums se concentrent, se densifient. S’adoucissent parfois jusqu’à nous bercer de ce Fragile constat : « tout l’air que tu respires (…) ET LE TEMPS QUI S’EN VA ». Trois électro poèmes dans le livret achèvent de laisser le verbe étendre sa Prière : « Des mots secours, des mots-tendresse, des mots-promesses ». Le Beau : « Cherche-le à perdre haleine / au bout de la route / au bout de soi ». Et « Regarde seulement tes mains ».
Que l’on soit Celui qui croyait au ciel, ou Celui qui n’y croyait pas*, il n’est qu’un seul message : Il faut apprendre à aimer. - Catherine LAUGIER
*Aragon
Sam Frank Blunier, Mystic Señor, 3/5, Editions Sabina (2020)
Retrouvez ici l’entretien exclusif accordé par Sam Frank Blunier à Robert Migliorini lors de son passage à Paris pour la présentation de son album.
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