Putain d’expo !
Est-ce parce qu’il a chanté Corona song que le virus s’est vengé ? (on ne peut en vouloir tout à fait à la Covid19, c’est de la légitime défense). Toujours est-il qu’à peine ouverte (le 16 octobre), la Putain d’expo aux Renaud et Renard dédiée a dû refermer ses portes, qu’elle ne rouvrira qu’à l’expiration du nouveau confinement, dans un mois, ou deux, ou trois… La date d’expiration étant toujours fixée au 2 mai 2021, ça devrait sérieusement réduire sa fréquentation. Nous ne pouvions attendre la Saint-Glinglin pour publier le témoignage de notre ami et collaborateur Vincent Capraro, un proche de Johanna Copans, co-commissaire de cette expo. Nous avions accordé six mille signes à Vincent pour tout nous raconter ; il doit en être à six cent mille. En bas de cette page, pensez à cliquer sur le lien « ici » pour poursuivre ce récit que tout amateur de Renaud (j’ai toujours en horreur le mot « fan ») se doit de lire jusqu’au bout sous peine d’être radié de la horde. MK
PUTAIN D’EXPO
Un récit de Vincent Capraro,
Octobre 2019, mon amie Johanna Copans, auteure d’une thèse intitulée « Le paysage des chansons de Renaud : une dynamique identitaire » publiée chez l’Harmattan, m’appelle et m’annonce avec une joie non dissimulée, qu’elle va être « co-commissaire » avec David Séchan (le frère jumeau du Renard, le plus ressemblant des deux) d’une exposition sur la carrière du chanteur énervant qui se tiendra à la philharmonie de Paris à l’automne 2020. Une formidable aventure s’annonce pour toute une équipe, un an de travail de dingue. Ce genre d’événement se prépare en général deux ans à l’avance… Pour les décors et les conceptions graphiques, David et Johanna ont fait appel à un « troisième larron », Gérard Lo Monaco, peintre décorateur scénographe, passionné de l’art forain avec qui Renaud a souvent collaboré au cours de sa carrière, mais on en parlera plus avant.
Au cours de cette année, nous avons souvent échangé avec Johanna autour de cette passion commune, sur le choix de photos, de thèmes, jusqu’au nom de cette expo qui n’était pas gagné à l’avance. Ce sera, Victoire ! notre choix : Putain d’expo, clin d’œil au titre de l’album et de la chanson Putain d’camion, en hommage à Coluche.
Je vous emmène, non sans émotion, visiter cette exposition consacrée à Renaud de son vivant. Une exposition recentrée sur l’œuvre de l’artiste, sur son parcours, sur une carrière riche qui compte pour les amoureux de la chanson. Nous laisserons les vautours médiatiques avides de buzz malsain, spéculer sur son état de santé.
Dès le début de la visite nous sommes directement immergés dans l’enfance de Renaud à travers des photos de famille sépia et des films en Super 8 du Papa, Olivier Séchan. Des extraits du court métrage Le Ballon rouge d’Albert Lamorisse (1956) montrent Renaud et David à trois ans, un ballon à la main qui font leurs premiers pas de comédiens. C’est leur l’oncle, Edmond Séchan, qui travaille dans le cinéma, qui engagea ses neveux.
Cette enfance, on la perçoit douce comme le miel au sein d’une fratrie de six enfants. On comprend, là devant ces photos, combien cet univers familial a construit l’homme mais aussi l’artiste. La nostalgie de l‘enfance est omniprésente dans toute son œuvre. On voyage dans le temps, de l’avenue Paul-Appell du 14e arrondissement aux collines des vacances cévenoles de Vialas. « Où sont-elles mes cabanes en bois… où sont-ils mes châtaigniers et mes torrents des Cévennes de mon cœur » (Mon paradis perdu) ; « le seul vrai enfer qu’on avait sur terre il était dans le ciel de nos pauvres marelles » (Le sirop d’la rue). Renaud est issu du croisement de deux mondes, intellectuel protestant du côté paternel, populaire ouvrier du Nord du côté maternel. On y retrouve Olivier Séchan le père écrivain de romans policiers et de romans pour la jeunesse et Louis Séchan, le grand-père paternel, helléniste professeur à la Sorbonne. On restera longtemps en admiration devant la machine à écrire exposée du papa, la fameuse Underwood portable. On imagine le jeune Renaud fasciné par ce père dont le métier lui donnera sans doute à son tour l’envie de faire de l’écriture sa vie, son métier. Mais c’est Solange Mériaux, sa maman, qui lui donne le goût de la chanson populaire en écoutant à la maison Fréhel, Damia, Maurice Chevalier ou Brassens. Au-dessus des photos de famille, trône l’affiche militante pour les élections législatives de 1932 du candidat communiste Oscar Mériaux, le grand-père paternel mineur du Nord à qui Renaud rendra un vibrant hommage en chansons Oscar et Son bleu.
De cette famille de milieu modeste, dont la richesse est plus intellectuelle que financière, Renaud héritera le goût pour les lettres et la chanson populaire, et se forgera un esprit social contestataire.
Toute l’exposition regorge de manuscrits et documents rares, photographies inédites choisies par David et Johanna parmi les quinze classeurs prêtés par Renaud. Renaud conserve tout, mais tout n’est pas forcément rangé, l’expo aurait pu compter encore bien d’autres documents… Concernant l’enfance, on découvrira un cahier dans lequel Renaud écrira son premier « roman policier » à seulement neuf ans. Des dessins, mais aussi le manuscrit de la chanson Crève salope datée du 20 mai 1968, le premier brûlot de Renaud à seize ans contre tous les autoritarismes, des parents, des profs, de la police, de la justice, de la religion. En Mai 68, Renaud redouble sa troisième. À en croire son relevé de notes que l’on découvre en vitrine, il est plus séduit par la révolte ambiante que par les études. Appréciation en sciences : « travail nul, aucun intérêt en cours qu’il perturbe fréquemment… ». Rien d’étonnant donc de le retrouver actif au sein du Comité Gavroche révolutionnaire à la Sorbonne, un film court nous le présente à l’époque dans une imitation de Guy Bedos : « Moi, je dis, le pognon, la famille, le pognon, la patrie, le pognon, y a que ça de vrai… Rien dans les mains, tout dans les poches… » On retrouvera d’ailleurs un manuscrit exceptionnel, son petit manuel du parfait manifestant dans lequel il explique comment éviter et se protéger des CRS, comment batailler dans les rues, et donne la recette du cocktail Molotov avec le chiffon imbibé d’essence. Cinquante ans plus tard, on aurait parfois bien envie de s’en servir encore… Quelle merveilleuse idée d’avoir consacré un espace à Mai 68, c’est sans doute un des éléments fondamentaux de la construction de l’esprit mutin de notre Renard…
On poursuit la visite de l’expo CLIQUEZ ICI avec, en sus, la préface de Renaud lui-même.
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