D’hivers en chaise de jardin : les « saisonnements » à la Matthias Billard
Peut-être vous souvenez-vous de Jules et Jo, ce décalé duo Belge qui s’adonne à conter de l’histoire d’horreur joyeuse et rythmée ou, comme le dit si bien cet auditeur, à « attaquer des sujets dérangeants à grand coup d’humour » (et je rajouterais : d’accordéon). Ils reviennent en effet très bientôt cet automne avec un album extra-pongien… mais parce « qu’y a plus d’saisons ma bonne dame », je voudrais tout d’abord parler d’Hiver(s).
Hiver(s), c’est l’opus de Matthias Billard solo (le Jo du duo) sorti lors des équinoxes neigeux de 2019 : cet album, semi-chroniqué par Catherine Laugier à sa pré-sortie, m’a accompagné le long des neiges et du lent printemps de confinement, je ne pouvais donc omettre d’en parler un peu plus longuement.
Fidèle à la météo de la saison en question, Hiver(s) est un long frisson, ce genre de frisson qu’on ne sait s’il vient d’angoisse ou de plaisir, un frisson d’entre-deux, un frisson d’étrangeté.
Ode inquiétante à une mer rimbaldienne : « J’y vois rien sans la mer / Mes paupières / Sont des sous-marins / Moi chuis saoul / sans la mer / Quand j’l’ai pas sous la main ». Chant d’amour à mort : « Mon amour avant que / Avant qu’on ne soit trop morts / Promettons-nous encore / De n’être jamais vieux ». Bonheur bon-gré-mal-gré — le bonheur ce chien / te dit merde avec amour. Autant d’éclairages dans lesquels Matthias Billard farfouille les ombres des caprices humains, le contraste de fêlures en point d’interrogation (« Est-ce qu’on aime / Assez les gens qu’on aime ? ») et les lueurs qui nous font vivre (« Ma fille s’endort / Ma fille s’endort / Sur mon épaule s’endort / Sans faire de bruit / Son cœur bat fort), le tout à coup d’anaphores-cocons, de malignes homéotéleutes et de prières à l’anadiplose.
Car la répétition n’est pas seulement dans les saisons chez Matthias Billard. Et si ce long frisson n’est certainement pas véhiculé que par ses textes (dans lesquels on retrouve certainement la patte rusée-décalée du despotique rouquin du nord), mais aussi dans une mise en musique souvent lancinante, remplie de petites électrocutions toutes calculées, il y a une façon de jouer avec le langage qui est directement responsable de cette étrangeté. Il n’y a qu’à, pour s’en convaincre, écouter les calembours des Oiseaux migrateurs — « Tiens / Il pleut / Des oiseaux migrateurs / Mi-grands mi-rien / Mi-perdants / Mi-vainqueurs », ou encore l’apothéose oulipienne de cet opus, dans lequel un auditeur qui paresserait de l’oreille n’y verrait que du feu, une dinde, l’ennui de Noël et le désamour d’une mère…
Musique et mots se font images, chansons de petit bois, d’oiseaux et de Noël, métaphores écornées, débobinées par Matthias Billard dans cette salle obscure de minicinéma, notre corps à la lisière de cette brume enchantée. Mi-vautrés dans les vibrations de ce petit bijou « intimiste et poético-cinématographique », mi-piqués au vif de ses contrastes râpeux, on se laisse électrocuter tout doux tout dur, pour qui sait, peut-être se laisser rééblouir par les gris des pluies à la sortie…
« Décolle-toi la rétine / Prends ta part du halo / Le ciel est noir fluo ».
Matthias Billard, Hiver(s), 2020. Le facebook de Matthias Billard, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de Jules et Jo, c’est là.
Et pour la Chaise de jardin, le nouveau « Jules & Jo », ce sera à l’été des indiens le 2 octobre 2020 !
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