Thibaud Defever et le Well Quartet, les vagues de la vie
5 septembre 2020, Concerts de la MJC de Venelles (13)
Premier concert en intérieur de la saison 2020/2021 pour moi, et ouverture de saison pour la salle, avec Thibaud Defever en solo – mais à cinq ! Une impression bizarre, masqués, distanciés, mais heureux de nous retrouver. L’artiste nous avoue qu’il vient pour la dixième fois à Venelles. Pour ma part je l’y ai déjà vu trois fois, toujours bien accompagné, sous le nom de Presque nous avec Sophie forte, et deux fois sous celui de Presque Oui, nom issu de son duo avec la chanteuse disparue Marie-Hélène Picard. Avec Anne Sylvestre, non pas en duo mais faisant dialoguer leurs répertoires, puis avec Wally en invité surprise pour ses vingt ans de scène en 2018 .
Pour la première fois Thibaud reprend son nom sur scène et fait rimer ses chansons claires-obscures avec le quatuor à cordes Le Well Quartet entièrement féminin, Widad Abdessemed et Luce Goffi au violon, Anne Berry à l’alto et Chloé Girodon au violoncelle. Musiciennes, comédiennes et choristes, elles sertissent les textes-bijoux de Thibaud, co-écrits avec Isabelle Haas, dans un écrin qui est loin de n’être que classique, scénarisent la tragi-comédie de la vie. Les cordes, pincées, heurtées, frôlées, caressées ou grincées, véritables créatrices d’ambiances, incarnent les sentiments et les éléments, l’air, la terre et le feu, et surtout l’eau, d’une mer omniprésente qui nous emporte, nous menace ou nous mène jusqu’au havre salutaire. Le son assuré par Marc Bernard qui assure sa dernière date, la lumière de Joël Le Gagneur contribuent à la magie du spectacle.
Nouvelles en CD – mais déjà entendues en 2018 comme cette Fugue où l’auteur se demande si on s’inquiéterait de son absence – inédites ou très anciennes, reprises des débuts, telle Une heure c’est trop court, (ou trop long), complètement revisitée en une alerte comédie, ses chansons mettent dans une scène douce et tendue, entre obscurité et lumière, ses (nos) angoisses, ses joies et ses espoirs.
S’il veut croire à ses rêves d’enfant et ses chimères – « Les mirages ont toujours raison » – s’il trouve refuge dans ses Île[s] seul ou accompagné, s’il donne la parole au réfugié que l’on aide à passer la frontière, comme ces oiseaux qui se rassemblent et espèrent, s’il accueille Le temps qu’il faut sous son toit, dans la nature qui l’entoure, celui qui en a besoin pour retrouver « le printemps qui te fait du pied et la vie qui te fait de l’œil », la vie est pour Thibaud aussi un parcours du combattant. Il lui faut se battre contre les éléments, dans une quête de liberté, entre aspiration à l’évasion et recherche d’abris loin de la noirceur du monde.
Avec persévérance, Thibaud se débat contre ses « vents contraires, tient le cap, essuie tant bien que mal quelques lames de fond », Dérive et lutte contre ses démons. Contre le passé, avec cette violence sous la douceur de la voix dans cette maison qui Brûle, véritable tragédie où les archets recréent les flammes, que l’on voit courir, danser, monter dans la charpente, pulvériser tous les souvenirs d’enfance. Contre les aléas du cœur, le doute – la toujours impressionnante « Suspect la douceur / Suspect la jolie fleur » – l’inquiétude diffuse « Tu t’es perdue là-bas / Dans la forêt (…) De là où nous vivions, je m’éloigne à grands pas / Je me doute à présent de ce que les grands arbres attendaient de toi », traduite par ces violons qui frisent, qui déraillent, sur cette voix mystérieuse « Désormais je prends le temps du retour ». Jusqu’au grand schisme, au chaos : « C’est une vraie boucherie, c’est au lance-flamme qu’on a brûlé les années douces ».
« Appuyant sans cesse là où le bât blesse », il nous donne avec humour sa propre leçon d’anti-développement personnel, insistant sur les moyens de se faire le plus « De la bile, du mouron », avec l’aide de ses quatre sorcières musiciennes, jaillies brusquement de leurs sièges d’où elles tiraient de leurs instruments quelques accords sataniques, pour nous jeter le mauvais sort sur fond de hululement.
Malgré les masques, le public fait sa part de chœurs et réclame des rappels, le succès si mérité d’On saura pas : « On saura tout à la fin / Si on était bien fait l’un / Pour l’autre » et ce Séquoia (2011) tatoué au bas de son dos qui lui assurera l’éternité.
C’est tout le bonheur de ce concert de nous mener en douceur, avec une tendre ironie, à surpasser nos craintes pour voguer vers la beauté, libres et conscients de nos failles et de nos joies.
Le site de Thibaud Defever, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, là.
Thibaud Defever & Le Well Quartet, Le temps qu’il faut, L’autre distribution (2020)
Prochain concert à Avion (Hauts de France) le 11 octobre
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