Fred W, de la page blanche au livre blanc
Le professeur est un rêveur, disait-on. Fred Walin, abrégé en W, en a retenu des rêves, depuis son enfance dans ce quartier de la Chiennerie à Nancy, quartier villageois qui devait son nom au chenil des ducs de Lorraine, devenu « quartier » d’exclusion, mal fréquenté, comme tous ces lieux où le travail a déserté la ville. L’usine, elle est présente partout dans ce beau livre blanc, avec ses structures métalliques rouillées, souvent enfumées, qu’il a photographiées lui même et qui dessinent sur le fond blanc un décor doré géométrisant, comme un motif ethnique et urbain. Honnie et regrettée à la fois, « La vieille dame est fatiguée ». Fred sait trouver les mots pour la décrire comme une femme, « tel un trophée / Sur ses longues jambes d’acier », comme une église « sombre et discrète presque insoumise / Elle est le cœur de tant d’histoires / Une lueur dans les mémoires ». S’inscrivant dans la lignée de ces chanteurs qui ont célébré avec lyrisme la ville industrielle, industrieuse et ses habitants , « Des hommes, et puis des vrais, des beaux, des ouvriers » : Lavilliers et Saint-Etienne, Frasiak et Charleville, Frédéric Bobin et Le Creusot.
De cette lignée aussi, cette chanson co-écrite avec une classe de CM2, en haine des guerres et de leur célébrations, sur la trompette en larmes de Louis Walin, la batterie roulant tambour de Charles Pierre, multi-instrumentiste, les chœurs en mélopée funèbre et douce : « Les sanglots de novembre / Les nuits bleues, les jours cendres / Du gris au fond des yeux / Mort sur le champ d’horreur / Ecoute ce champ d’honneur / Le fusil sur l’épaule ».
Ou ce courage d’affronter Les sorcières, qui symbolisent nos craintes et nos doutes (version remaniée du précédent album). « Regarder le temps qui ruisselle / Inventer de nouveaux accords / Jeter du bleu dans notre ciel ».
La voix de Fred est légère, et sa musique est un rock presque pop, qui dissimule des anxiétés profondes, pour le Chagrin de sa fille adolescente trop tôt grandie, trop tôt trahie « Avant, y’avait le rouge aux joues / Les bleus, les pommes sur les genoux / Il tenait dans le creux d’une main / Ton cafard, ton blues, ton chagrin ». Mais plus encore pour le jeune de 15 ans harcelé qui ne trouve de solution à sa vie que « Par le feu j’en finis / Par le feu je reviens / Par le feu je me dis / Qu’enfin je serai bien ». Un refrain qui danse comme une flamme joyeuse dans sa sinistre conclusion, sur des riffs de guitares débridés. C’est ce contraste qui caractérise cet album, des sujets profonds enrobés dans une musique rock qui incite à bouger, avec une sensibilité pudique.
Qui ressort particulièrement dans ce bijou serti en milieu d’album, une reprise de la Chanson pour Pierrot douce et déchirante, où dialoguent guitares électrique et acoustique, qui s’emballent à la fin en évoquant un avenir qui pourrait être radieux, sur la trompette d’Eddy la Gooyatsh.
Le besoin d’écrire, de chanter, est explicite : « De bémols en do dièses / En passant par la rime » (D’où on vient, où on va?). La muse vient récompenser l’auteur et sa page blanche : « La Vénus est sortie comme une triste évidence / Me laissant ébloui par une telle insouciance / Puis ma page , d’un coup, s’est noircie du parfum / De la belle inconnue qui passait son chemin ». Et la chanson mieux qu’une drogue sait consoler, mieux qu’une étreinte sait caresser : « Quand même le soleil me déprime / Quand la vie pique au fond des yeux / Je pose ma plume sur quelques rimes. »
Fasciné par l’univers de Rodolphe Burger, Fred W sait aussi utiliser la voix parlée, plus grave que sa voix chantée, pour des récits comme de courtes nouvelles qui génèrent suspense et émotion : le Prélude à une rencontre, une femme dont toute l’âme tient dans une épaule clandestine, objet de rêve et de fantasme. Ou ce magnifique récit, sur quelques notes aquatiques de guitare, Le saut de l’ange, souvenir-fable où par sa calme empathie, un plongeur génial, mais homme modeste, parvient à vaincre la peur de l’adolescent tétanisé au sommet de son plongeoir « Regarde devant toi, ne baisse jamais les yeux sauf pour affronter le vide ». Qui peut aussi servir de règle de vie.
L’album enregistré en Lorraine, son deuxième, est œuvre de Fred Walin paroles et Musique (sauf le premier titre, musique Louis Walin). Un livre d’art, de mots et d’images dont on sent qu’il est l’œuvre d’une vie, habitée d’âme. Aux musiciens et leurs instruments déjà cités, rajouter guitares, basse, piano, la guitare classique de Sarah Walin, les violoncelles de Jacob Mertzweiller ou de Stéphanie Bertrand, l’accordéon de Christian Mangel. Un lyrisme musical qui doit tout à l’acoustique rock et classique plus qu’à l’électro, discrète sur les claviers. Et qui magnifie le texte plutôt que de l’occulter.
Fred W, Mélancolie sous un ciel blanc, livre-CD production Un truc bizarre, en financement participatif (2020)
Le site de Fred W, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, là. Sa page facebook, là.
La vieille dame, en feuilletant l’album
Chanson pour Pierrot en duo
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