Festival chansons sous les étoiles, Les Jetés de l’encre, croqueurs de mots et de notes
17 juillet 2020, 22h20 Bouc-Bel-Air, esplanade du château.
Sous le ciel enfin piqueté d’étoiles, les musiciens des Jetés de l’encre ont installés leurs instruments : « trois guitares en folie, une contrebasse qui vrombit dans la nuit, des chansons qui défrisent. » C’est ainsi que se présentent Gilles Maire, auteur-compositeur-interprète, musicien autodidacte, guitariste tendance manouche venu à la chanson par l’écriture, cœur du groupe qu’il a fondé en 2006, et Philippe Schwall à la contrebasse, qui apporte la note « américaine ». Dan Ifergan assure les contre-mélodies et les contre-rythmiques depuis 2018, et le benjamin Ulysse Loviat, aussi virtuose que discret sur scène, apporte depuis 2016 toute sa sensibilité aux musiques du monde. Un groupe à géométrie variable qui a vu se succéder de nombreux musiciens, au violon, aux percussions à la flûte, aux clarinettes et au trombone, et aux guitares bien sûr (salut à Joël Favreau au passage), au cours de 850 concerts en France et en Europe, et à travers un répertoire de 3 albums. Ils nous apportent leurs « chansons à respirer », exactement ce qu’il nous faut en ce moment.
Mais laissons à Christian Duneau la charge de présenter nos Jetés de l’encre en poésie, je n’aurais pu faire aussi bien.
Captés immédiatement par la voix ronde et chaude de Gilles Maire. D’un lyrisme éclatant de trobador occitan, elle ne laisse pas perdre la moindre syllabe, est faite pour creuser et rouler le mot, le déguster en le mâchant de la langue et des dents. Dans la lignée de ces méditerranéens brillants que furent Brassens, Escudero, Reggiani ou Joan Pau Verdier. Voire Forcioli. Mais tous ces poètes ne sauraient dire la poésie sans la musique qui sonne avec, et le groupe est particulièrement brillant en la matière. Qu’ils empruntent leurs notes au jazz, au rock ou aux musique du monde, ils nous font sans peine voyager d’est en ouest, et du nord au sud, entre valses manouches, accents russes, milongas argentines qui parlent d’amour et de mort comme une tragédie antique, ou chants occitans, « Jo que serei Trobador / Per trobar un drin d’amor » tout en gardant une identité propre bien reconnaissable.
Premier contact avec une chanson de leur dernier album, qui prête vie aux héros d’un jeu de cartes qui récupèrent leurs noms traditionnels, Lancelot le valet de trèfle qui n’a d’yeux que pour Judith, la dame de cœur attachée à son roi Charles. Ça m’a rappelé la chanson de Dylan, Lily, Rosemary and the Jack of Hearts, mais ça finit mieux. Car la vie rebat les cartes à son gré, et « Un sept de pique / Ça fait la nique / A un un roi qui a ou- / Blié de compter ses atouts ». Ça balance sur la guitare d’Ulysse qui joue les mandolines dans une ambiance commedia dell’arte, et redouble de virtuosité dans une danse où on s’enlace en tourbillonnant, et qu’importe si « La vie c’est que du temps qui passe ». A l’Italie encore une déclaration d’amour, chanson dédiée à une ville, à qui l’on peut parler comme à une femme qui s’appellerait Emilie Romagne, sur des vers qui musiquent tous seuls : « Bologne se balance sur les bords de son lit / Quand Garisenda lorgne sur Asinelli ». On dirait du Victor Hugo !
Même si on ne le croit qu’à moitié lorsqu’il nous dit qu’il est de Paris (on apprendra plus tard qu’il est né à Pau), il est exact qu’il y vit, et que toute la troupe a tourné pendant cinq ans à Montmartre sur la scène minuscule du plus petit théâtre de la capitale, 14 places, le Petit théâtre du bonheur. Et qu’amoureux de cette commune blanche, verte et rose, ils est fort marri du départ d’Eliette quittant son bar, le Rêve, rue Caulaincourt, transformé en pizzeria, pour une retraite bretonne. Pensez, il y venait Nougaro, Gainsbourg et Brétécher… Ça fait une jolie valse manouche. Et la vie madame, un joli swing à Saint Germain. Le voyage passe par une tournée très espérée à Moscou qui se révèle tournée des ringards dans un bar, « La Simca sentant le roussi / A coulé une bielle en Russie ». L’occasion de nous la jouer balalaïka et de nous la chanter Vissotski. Irrésistible !
Si l’amour peut envoyer ses flèches dans une mauvaise direction à une Saphique, il arrive aussi qu’il réveille Le grenier de [son] cœur, et là on retrouve ses 20 ans. On peut même réoffrir ce cœur, « Je suis un rêveur que la sagesse épargne », et retrouver, peut-être, celle qui fut la première, rencontrée lors d’un tango à Jehro : « Venez, ne venez pas, je serai là quand même ». Ou tomber amoureux d’une belle aux pommes bien mûres, qui ne doit pas ses charmes au bistouri, La reine de la plage.
Ajoutez à la poésie inventive des paroles un humour décapant, cachant souvent la mélancolie du temps qui passe. Une main de satire politique virulente dans la lignée des grands poètes anarchistes du XIXeme, qui donne La marche des peineux, « Quand elle m’a vu chanter , La la la la la la la la la la / celle qui dansait son nom / C’était la Liberté », et ce Chemin des dames, histoire du chanteur inconnu devenu le plus connu des inconnus, fleurissant « le champ de déshonneur ». Complétez avec un bras d’ énergie dévastatrice et vous aurez une idée du résultat.
On finit par une chanson de pure fantaisie, Le casse, ambiance Blues brothers. « Les jetés de l’encre / On n’est pas mauvais garçons / Mais ce qui nous manque / C’est toujours une chanson ! » Avec un scat formidable à la fin. Pur régal. Que le ciel vous préserve de les manquer.
Après la tournée provençale, prochain concert le 25 septembre à Narbonne. Autres dates sur leur site.
Le site des Jetés de l’encre, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, là.
La tournée des ringards
Le grenier de mon cœur
La Milonga
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