La Bricole, travail d’orfèvre en terre maritime

La Bricole : Olivier Catteau, Vincent Brusel et Julien Biget (photo non créditée)

Pour accomplir leur service militaire ou partir pour la pêche, les marins n’embarquaient pas tous que de Lorient, La Rochelle ou Valparaiso, comme le laissent à penser le répertoire de chansons que nous connaissons, laissant inéluctablement leurs amours au port, « ah quel-le-jour, pour moi quelle souffrance / d’abandonner celle que j’adorais ! ». Mais de Boulogne-sur-Mer aussi… Voici le trio La Bricole (Vincent Brusel, mandoline et chant ; Olivier Catteau, accordéon, clarinette et chant ; Julien Biget, bouzouki, guitare et chant) qui fait revivre des chansons du Boulonnais. Toutes issues de collectages (notamment d’un certain Michel Lefèvre), surgies de cahiers au papier jauni enfouis aux archives, de journaux aussi qui jadis traitèrent des faits divers en chansons… Indispensable travail d’historiens de la chanson et, ma foi, ravissement quant à la restitution.

Ce n’est pas le premier disque de La Bricole. C’est même le second volume de leur démarche chansonnière, après le Ne vous faites pas marins paru il y a quatre ans.

« Je suis marin, je rêve la liberté / J’ai dans le cœur la haine et la vengeance / Car pour cinq ans je viens de m’enchaîner / C’est un tombeau que notre République / A fait ouvrir, pour un cœur de vingt ans / De m’envoyer souffrir en Martinique… »

Rien de la plupart des sujets abordés ici ne sont absents de la chanson traditionnelle (la conscription, les amours contrariés), à la différence qu’ils ne sont pas incarnés ici par des « reste à terre » que nous sommes, mais par des matelots, mousses comme aguerris. Et que les gens de mer, pêcheurs de crevettes comme de harengs, ont bien d’autres histoires, d’autres horizons, qui nourrissent plus encore l’imaginaire, le leur comme le nôtre. Les naufrages, les filles des ports… Plus et bien mieux que ce que des contemporains ont pu chanter des marins (Djiboudjep, Michel Tonnerre, Le trio EDF, Soldat Louis, Les Naufragés… que je tiens tous en grande estime), La Bricole explore des récits d’époque, du vécu, de l’actualité d’alors (même une tentative de traversée de la Manche en monoplan !), de l’impliqué (« Mais de la Marine je suis la victime / Quand je casse mes cailloux / Chaque soir à genoux / Je maudis votre infâme patrie / C’est pour elle à présent / Que je suis dans le tourment / Ici en Algérie »), dans un travail historique autant que sociologique. Ça pourrait sembler rébarbatif sur le papier, ça ne l’est plus quand ça revit au son des instruments : il faut dire que l’insolite combinaison accordéon-clarinette-mandoline-bouzouki a le don de vous réveiller les vers. Les voix, elles, vous rappellent certains groupes des années soixante-dix tels que Mélusine ou La Bamboche : fidèle restitution et clarté de voix. Tant que ce collectage redevient ce qu’il est, ce qu’il doit être : une suite de chansons, qui chacune procure et diffuse son plaisir. Des chansons vivantes, bien construites, bien amenées.

Pas besoin d’être du Pas-de-Calais pour apprécier une telle œuvre. Facile de dire ici que La Bricole ne bricole pas : c’est du travail d’ajustage, de précision. Travail d’orfèvre que le leur. Bravo.

La Bricole, Jour de malheur, AEPEM 2020. Le facebook de La Bricole, c’est ici. Leur site, c’est là. 

Jour de malheur 

Entretien France 3