Béart, de père en filles
Retour en grâce pour Guy Béart, presque cinq années après son décès ? Un incontestable regain en tout cas. En avant-garde d’une (tant espérée) intégrale, annoncée pour le 4 septembre 2020, voici en effet que nous est donnée l’occasion de (re)découvrir l’auteur-compositeur derrière le chanteur. De quoi faire fi de son image – osons le mot – un chouïa ringarde, pour apprécier sans œillères quelques-unes des 300 chansons qu’il a laissées à la postérité.
Pour ce faire, un double CD de 20 reprises, intitulé De Béart à Béart(s). La raison de ce pluriel incongru : les instigatrices de ce bel album sont ses deux filles, Eve, créatrice de bijoux, et Emmanuelle, qu’il est inutile de présenter. Celle-ci ne ménage d’ailleurs pas ses efforts pour faire connaître cette version 2.0 de l’œuvre paternelle, multipliant les interviews dans la presse, à la télévision ou à la radio. On peut évidemment en sourire quand on se souvient de l’ostracisme dont a pu souffrir Guy Béart dans les vingt dernières années de sa carrière et de l’indifférence qui a accueilli ses derniers albums, mais il serait malvenu de s’en plaindre si ce mini-barnum médiatique peut effectivement contribuer à le sortir du silence auquel on l’a trop vite condamné.
Ce ne serait d’ailleurs que justice si ce disque pouvait remporter un succès à la hauteur de sa promotion. Car loin d’être un tribute sans âme, comme l’industrie du disque nous en réserve à intervalle régulier, c’est une très belle œuvre, soignée en tous points, des enregistrements au livret, où l’on devine que chacun des artistes s’est réellement investi, ayant à cœur de redonner vie à un répertoire au parfum d’éternité.
Un très beau casting par ailleurs. Intergénérationnel. Ont été convoqués aussi bien la vieille garde (même Charles Aznavour, décédé quelques jours trop tôt, aurait dû en être) que quelques jeunes pousses, tous s’en tirant brillamment. Avec respect et parfois impertinence, avec toujours une émotion à fleur de peau. L’album est sous-titré Versions libres et c’est bien cela qui nous est offert : un souffle de liberté qui a passé un coup de ripolin salvateur sur des chansons trop souvent desservies par le chant et l’image de leur auteur.
A ce petit jeu des reprises, chacun aura bien sûr ses préférences. J’avoue ainsi volontiers ne pas avoir été emballé par la chanson d’Akhénaton, un Qui suis-je ? rebaptisé Qui sommes-nous ?, mixant texte de rap écrit pour l’occasion et chanson d’origine, démontrant que les paroles engagées d’hier font écho aux préoccupations actuelles. Si le résultat n’est pas convaincant à 100%, au moins le rappeur aura-t-il poussé loin le bouchon artistique et osé autre chose. Déconcertante aussi, la version de Vous (c’est vous) par Christophe, au chant fragile et bouleversant, dont le bidouillage électro malmène cependant la mélodie du morceau. Quant au Qu’on est bien, chanté en duo par Thomas Dutronc et Emmanuelle Béart, sa version remise au goût du jour (désormais, on n’est plus bien dans les bras d’une personne « du sexe opposé » ou du « genre qu’on n’a pas », mais bien dans ceux d’une personne « du sexe désiré » ou du genre « qui nous va ») fera sourire sans offusquer.
Pour le reste, sont à classer dans les plus belles réussites les reprises de Seine va par Alain Souchon et d’Il fait toujours beau quelque part par Laurent Voulzy, qui tous deux se sont tellement accaparés les morceaux qu’on les jurerait issus de leur propre répertoire, tandis que Maxime Le Forestier nous emmène dans les cimes de la poésie avec sa version tout en guitare de De la Lune qui se souvient. Vous aurez compris à l’énoncé de ses trois titres que la liberté des interprètes a également prévalu dans le choix des chansons. Si quelques tubes sont au rendez-vous (l’incontournable Eau vive par Yaël Naïm et Emmanuelle Béart, le classique Il n’y a plus d’après par Vianney, le nostalgique Bal chez Temporel qui sied bien à Vincent Delerm, ou Les couleurs du temps dans une version percussive par Angélique Kidjo), l’album relève davantage du florilège de morceaux méconnus. Carla Bruni a ainsi jeté son dévolu sur C’est après que ça se passe (chanté aussi jadis par Reggiani), Clara Luciani sur Chanson pour ma vieille, Brigitte sur Allô, tu m’entends ? ou Raphaël sur Poste restante. Le pompon revient incontestablement à Pomme, qui a sorti de l’oubli un titre de 1973, Ceux qui s’aiment, qu’elle interprète d’une voix vibrante d’émotion.
Pour être complet, signalons encore la complainte anti-raciste Couleurs, vous êtes des larmes par Ismaël Lo, le morceau aux allures de conte Les souliers porté par la voix puissante de Catherine Ringer, le très actuel Fille d’aujourd’hui par le groupe Hollydays, le sensible Plus jamais par Emmanuelle Béart en solo, ainsi que son troisième duo de l’album, aux côtés de Julien Clerc, pour le cynique et passablement misogyne Frantz(Viens mon cher Frantz).
De Béart à Béart(s) est une belle et copieuse galette, qui permettra tant aux fans invétérés qu’aux néophytes de survoler tous les aspects de l’œuvre du chanteur disparu. Débarrassées de leurs oripeaux originaux, orchestrations parfois datées et voix du chanteur qui reste un frein pour beaucoup, les chansons nous paraissent neuves et d’une évidente intemporalité. On sait combien Guy Béart souhaitait s’effacer derrière ses chansons et devenir un « auteur anonyme du XXème siècle ». Ce disque apporte l’indéniable preuve qu’il est en bonne voie de réussir cet ambitieux projet.
Collectif, De Béart à Béart(s), Polydor/Universal Music, 2020. Ce que NosEnchanteurs a déjà dit sur Guy Béart, c’est là.
Il ne faut pas oublier « La vérité », et puis les chansons de science-fiction de Guy Béart… Attendons l’intégrale…
Un mélodiste hors pair.
Des chansons joyeuses ou sensées….
Rendons- lui justice, car le dictionnaire le définit comme un chanteur du 20 e siècle qui a remis au jour des chansons anciennes- au gué vive la rose etc.. aux marches du palais… v’là le joli vent, etc
Or, c’est vrai qu’il les a reprises mais son propre répertoire était fameux
L’eau vive- qu’on est bien. A Amsterdam-il n’ y a plus d’après-les couleurs du temps-Franz- le matin, je me lève en chantant-dans l’île aux jaloux etc etc….
Notre ami Michel Trihoreau, ex « Paroles et Musiques » et « Chorus », par ailleurs membre de l’équipe rédactionnelle de NosEnchanteurs, a sorti il y a quelques mois un très intéressant ouvrage sur Guy Béart, « Guy Béart, révolutionnaire ou prophète » (aux éditions Le Bord de l’eau), que nous ne pouvons que vous recommander… à commander. Lire l’article de NosEnchanteurs ici : http://www.nosenchanteurs.eu/index.php/2019/12/08/guy-beart-la-pertinence-folle/