Cyril Mokaiesh, retour aux sources
Il est des artistes qui conçoivent leurs albums comme des livres, où chaque chanson ouvre un chapitre, s’enchaîne avec la précédente, fait œuvre dont on est impatient de connaître l’épilogue, et non comme une suite de « singles » destinés à en mettre plein la vue. De ces artistes qui ont à dire et à raconter, ne se contentent pas de quelques accords pour vous faire danser, semés de mots d’une banalité affligeante.
On sait que Mokaiesh est de ceux–là, d’une sensibilité prenante, entre émotions de vie, d’amours et de révoltes, dressé contre toutes les injustices. Lorsqu’il revient sur sa propre histoire, puisée à la source de ses origines, ce Liban qu’il n’a connu que par le vécu de son père ou de son frère aîné, lui qui est né à Paris, c’est à la fois une découverte pour lui, pour nous, et quelque chose qu’il doit avoir, caché au fond de lui, prêt à renaître. Un pays chargé de cultures, de musiques, de vivre ensemble, et de vivre contre, d’Orient et d’Occident, de charnel et de spirituel, qu’il ne connaissait que superficiellement.
Pour ceux qui ne le connaîtraient pas, il nous rappelle son parcours, tennisman prometteur « enfant de la balle (…) mini gendre idéal », balancé par ses sentiments, hérissé par ses colères. La plongée dans son Origine est oubli, libération, retrouvailles : « Laurent, Valentin, Renaud, Liana / Ziyad, Bachar, Razane, Sophia / Roni… Téslamlé / Merci ». Beyrouth, il nous le décrit dans cet album photo qui accompagne l’édition spéciale de l’album, mais plus encore dans ce rythme lancinant, presque métallique, la poussière de cette ville en chantier, chaotique, son déhanché de soleil, « Mariage de oud et de passions / Romantiques / Ici le rêve et le poison / Communiquent », ses pluies de cordes, avec Bachar Mar-Khalifé. Cordes au cou, cordes d’oud (Ziyad Sahhab), déferlement de piano, ce déluge n’a jamais été autant solaire, comme des gouttes tombant sur un dallage fumant : « Puisse ce torrent, ce sauveur / Charrier les maux de nos cœurs ? / La vie est ailleurs… ». En opposition avec celles de Paris, si lentes et douces « Comme une louange à la nuit / Cinquante nuances de gris / Constantes », qu’il quitte comme une femme, et la chanson prend une dimension tout à fait tragique, presque irréversible.
Dès les premières notes l’émulsion prend, et se maintient tout au long de ce voyage de quarante minutes, entre le rythme typique de l’artiste, et le climat singulier, séduisant de l’album. Ses cris, ses douceurs, ses tendresses presque suppliantes « Yalla c’est l’heure, c’est l’heure / De nous deux / Si tu me veux », ses incantations «A l’été dénudé / A l’hiver casanier / A l’automne des tourments / Au sacre du printemps / Je lève, plein comme la lune / Mon verre à la fortune / D’être simplement dessous / Près de vous », ses inquiétudes et ses colères, qu’il n’a pas abandonnées, même s’il dit le contraire : « De New-York au Proche Orient / Le même firmament / Occidental éphémère / Libéral éclat de rire / Consommer, détruire / A faire sangloter la mer ». Une alchimie étonnante, et pourtant d’une totale évidence entre les notes orientales et les arrangements de Valentin Montu, un rock puissant et plus électronique qu’à l’habitude. Qui fonctionne d’une façon redoutable, suivant le souffle de Mokaiesh, il n’est que d’écouter le brûlant duo avec Sòphia Moüssa « Linceul blanc, cernes noires / Epines sur le front / Mais au bout du couloir / La résurrection » (La lueur).
Cet opus a une dimension sacrée, même si les allusions à la religion restent profanes. C’est une immense prière, à la vie, à l’amour, avec ce Cantique des oiseaux, d’après le poème du poète médiéval persan soufi Farid Al-Din Attar, dont la lecture l’a accompagné tout au long de l’écriture de l’album. Il n’est que d’écouter l’actrice Rajanne Mazal qui conjugue avec lui, en français, en arabe, « Au nom du Père / Du fils / Et de ceux qu’il renie / Un ange passe » dans un duo fusionnel, intense et urgent, « Depuis la morsure / Jusqu’à la mort sœur / Des enfants de cœur (…) La misère en collier sous la lune en croissant / Décoche ses flèches impunément ». La chanson finale, véritable apothéose, chorale céleste, ne dit pas autre chose : « Aimer tout ce qui cesse / Avant d’avoir été / Beauté, sagesse / Mère de la vie (…) Mater vitae ».
Cyril Mokaïesh, Paris Beyrouth, Un plan simple (2020).
La page facebook de Cyril Mokaiesh, c’est ici. Ecouter deux précédents extraits de l’album et lire ce que NosEnchanteurs en a déjà dit .
Concerts annoncés le 4 novembre 2020 à Lyon au Ninkasi Gerland et le 5 novembre à Riom à La Puce à l’oreille.
Pardon Paris (clip inspiré par le film Un jour sans fin)
Le jour d’après (chanson hors album, avec son fils, message d’espoir « Merci au jour d’avant. Imaginons celui d’après. »)
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