Evelyne Gallet, dernier moment d’humanité partagée avant confinement
MJC de Venelles, 1er février 2020,
Au moment où la MJC de Venelles confirme l’annulation de toute sa programmation restante *, il nous est bien agréable de parler du dernier spectacle vu avant le Grand Confinement, l’avant-dernier joué sur scène. Un concert vers lequel se précipiter dès le retour à une situation normale.
Certes, il n’est pas besoin de présenter Evelyne Gallet à nos lecteurs. Ils connaissent sa verve, son énergie, son tempérament volcanique. Elle nous montre ici, comme tous les plus grands artistes comiques, qu’elle est aussi capable de rendre toutes les émotions. Elle sait s’entourer d’auteurs qui lui ressemblent, souvent des amis, coupables d’humour tout autant que d’amour ou de tristesse, chacun dans un style différent, de la mélancolie à l’absurde en passant par la tendresse, qui font briller toutes ses facettes.
De Patrick Font, auteur tant de titres grivois telle l’incontournable Infidèle, renouvelée par un tempo plus rapide et une combinaison circassienne batterie/tuba, que de chansons délicates comme La pluie ou Les confitures, ode à l’humanité d’une Mémé qui les a laissées pour tout testament. Au Géant de Thibaud Defever, belle métaphore de liberté, joué comme un morceau de rock progressif « on verra si le monde est fou ». Ou à La fin du monde, prémonitoire, de Mathieu Côte, le copain trop tôt envolé, qui parle tant à notre époque inquiète : « Quand on fera péter la terre / Que s’effondrera notre empire (…) J’espère qu’il ne va pas rester un couple… ».
Un Mathieu Côte doucement cynique qui savait si bien analyser les relations amicales, ce Copain geignard qui agace, ou la difficile communication homme-femme. Des variations sur l’adultère, vu par la femme trompée : « J’ten veux pas (…) Il te plaisait va, c’est pas un crime » – où la batterie bat sur un rock dramatique montant en puissance, démentant l’indulgence affichée. Ou par celle qui trompe, réclamant le pardon au nom de la complicité passée, de la liberté : « Fais moi risette », avec ses nuances, ses boucles vocales, ses échos, ses dissonances qui évoquent bien les tourments des sentiments contraires.
Bistan la devine : « Je ne sais pas dire je t’aime / Les mots se planquent / Le courage me manque », Balmino la dévoile, cette Fille de l’air : « Trempez-moi dans l’huile et dans l’eau / je reste le même souriceau ». Et les ballades douces , comme Poupée, prennent une dimension stellaire avec la musique détonnante et battante: n’est-ce pas encore Evelyne, qui« fait de ses doigts de fée des poupées au cordonnet » (plutôt des masques en tissu, en ce moment de pause musicale forcée) !
Une jeune équipe de musiciens brillants, une batteuse impétueuse, Elvire Jouve, aussi à l’aise dans la subtilité du jazz, d’où elle vient, que dans la puissance du rock, un claviériste guitariste électrique, Clément Soto, qu’on a déjà apprécié auprès de Fred Bobin, et le tubiste Greg Julliard qui fait partie de la Grande Famille du Toubifri Orchestra, pimentent le spectacle d’une tonalité rock vivifiante, l’habillent encore différemment de la version album. Le tuba de Greg, inattendu dans un quartet rock donne de la chair à la musique, mais aussi de la mélancolie, celle d’un clown triste, mi Buster Keaton mi Chaplin. Evelyne n’oublie pas qu’elle vient du stand-up, et ses intermèdes, auto biographiques ou pas, valsent entre confidences et sketchs humoristiques.
Cela donne un spectacle où l’on rit, souvent, beaucoup, comme à ses reprises de La Demoiselle immortalisée par Colette Renard, en version expurgée pour la radio (le langage soutenu, ou retenu, augmente l’effet comique), ou en version métaphore culinaire. Où l’on sourit, exulte, se questionne, se retrouve dans nos affres d’humains, plus spécifiquement dans les doutes d’une femme « je voudrais que l’on ne voit les mille pages muettes que je gardais en secret », d’une amoureuse « On s’enlace, puis on s’embarrasse, on baisse la tête, on se dit mais qui veut de moi, nous on est pareils, que des gens malheureux, mais à deux », d’une mère, encourageant sa fille d’un tendre « Oh ma cocotte, si tu savais comme t’es belle ».
Où l’on ne s’ennuie jamais. Rien qu’à l’évocation de ce concert, je mesure tout le manque de spectacle vivant que nous ressentons en ce moment, même si les artistes ne nous abandonnent jamais et nous envoient leurs messages du fond de leur salon.
* Augustine Hoffmann, Bastien Lucas, Léopoldine HH, Romain Didier, Le Cirque des Mirages, Tom Poisson
Le site d’Evelyne Gallet, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, là. Le reportage photo complet de Nicolas Blanchard, c’est ici.
La pluie, en quartet aux Rancy
Les nuits d’une demoiselle (affamée), vidéo réalisée en confinement
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