Clément Bertrand, félin pour l’autre
Il est de la trempe, de la voix, de la taille de Leprest, de Léotard. Ce serait bien, avant que la vie ne le rapetisse, qu’on sache que Bertrand est de la taille des géants, qu’il domine largement la chanson, celle du tout-venant, du rien-chantant. Sur la pochette, le graphiste n’a eu finalement qu’à accentuer les traits pour faire de lui le tigre qu’il est, félin pour l’autre, fait pour l’amour.
L’amour à cœur et à corps, qu’il explore sans retenue, dans une poésie à flore de peau, charnelle, touchante. Catherine Laugier nous le rappelait il y a peu : le titre de l’album (et du spectacle) de Clément Bertrand est prélevé à Henri Michaud : « Seigneur tigre, c’est un coup de trompette en tout son être quand il aperçoit la proie, c’est un sport, une chasse, une aventure, une escalade, un destin, une libération, un feu, une lumière. Cravaché par la faim, il saute. Qui ose comparer ses secondes à celles-là ? Qui en toute sa vie eut seulement dix secondes tigre ? » Clément Bertrand est ici en proie à l’amour, à ses tourments… Tout tourne autour, tout, de l’approche à la chair, jusqu’à l’enfantement. Bertrand dissèque l’amour, le passe au tamis de la pure poésie, avec des mots dont il se fait des instruments. Dans une musique électro-rock (Matthieu Lesenechal aux claviers, samples et boîtes à rythmes) d’où s’extirpe et souvent prédomine l’instrument du délit, le lit de cet amour qui délie l’expression du sentiment : « Elle tend son archet si fort / Qu’il bande comme un amant / Et couche contre son corps / Le corps de son instrument / Elle est de celles qui violoncelle ». C’est autobiographie où l’amour tient la corde et la dulcinée prend notes. Au violoncelle comme aux ventricules : Chloé Girodon, la femme-tigre.
C’est œuvre majeure que cet opus parmi la discographie déjà avantageuse de Clément Bertrand (Peau bleue en 2016, Le salut d’un poisson en 2011…) que, si toutefois vous aimez la chanson, vous connaissez déjà. Certains chanteurs, parmi les plus grands, n’écrivent et ne composent que des peintures. Aux poils de martre comme à la brosse à dents, mais avec l’art et les pigments qui inondent leur toile, en font œuvre unique. Lui, Bertrand, fait de la sculpture. Sur une architecture de notes, de claviers et d’un cello, il projette des mots, des émotions, sa passion, son amour fou. « Et si jamais on s’encanaille / Est-ce que je vais bander de taille ? » C’est du brut, qui éclate, à vif, somptueux. N’y touchez pas, ne retouchez pas : c’est rien que de la vie, au plus près de ce qu’elle est, bancale et parfaite à la fois, souvent superbe, De veine et de hasard : « Tu ne rencontreras pas ma peur de te rater / Dans ce milliard de vies où je m’amène à toi / Tu n’auras pas l’idée demain de visiter / Le trou du cul du monde où j’habite par choix… »
Ce disque est folie d’amour et total enchantement. Achetez-le sans délai. Et allez voir ce Clément Bertrand en scène, le jour où la scène existera de nouveau. Pour savoir ce que chanter peut vouloir dire.
Clément Bertrand, Secondes tigre, Hé ouais mec ! Productions/Samedi 14 2020. Le site de Clément Bertrand, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
Une nuit qui a duré des jours /
Varechs (audio) :
Merci pour la découverte !