Ferrat par Belleret, biographie d’un chanteur révolté jusqu’au bout
Dix ans après la mort de Jean Ferrat, plusieurs biographies ont été publiées. J’en avais lu deux ou trois au moment de leur édition originale en 2010, dont certaines qui relèvent davantage du racolage et du recollage d’informations parfois inexactes jusque dans les titres de chansons (Que ferais-je sans toi, avais-je lu…) Le livre de Daniel Pantchenko, Jean Ferrat (Fayard) m’avait, quant à lui, beaucoup intéressé – on sait le travail de fond que cet auteur prolixe a pu réaliser autour des œuvres d’Anne Sylvestre ou Serge Reggiani.
L’ouvrage de Robert Belleret Jean Ferrat, le chant d’un révolté, vient d’être réédité. L’auteur avait déjà signé, entre autres, un excellent Léo Ferré, la vie d’artiste (une référence parue chez Actes Sud en 1996), Son Ferrat commence étonnamment chez Guy Béart, où Belleret se trouvait le jour de la mort de Ferrat. Il y a une fraternité des poètes entre ces deux immenses auteurs compositeurs interprètes, au-delà des polémiques et des divergences supposées. Robert Belleret retrace avec précision l’enfance et les débuts de Ferrat, la rencontre avec Christine Sèvres et Gérard Meys, puis les premiers disques, l’envol, les scènes, la censure, les drames, l’engagement constant d’un homme pourtant jamais encarté, les doutes, les rencontres artistiques et personnelles et la fin d’un parcours et d’une vie. Bien sûr, les auteurs et les interprètes de Ferrat sont largement au rendez-vous, ce n’est que justice.
Cette biographie, hélas non autorisée tellement l’entourage artistique de Ferrat bloque toute velléité d’entretien ou de citation, est vraiment intéressante et bien fouillée. Mais, pas plus que les autres livres, elle n’insiste sur le Ferrat mélodiste hors pair, bien que piètre guitariste et pianiste. C’est bien dommage, car c’est par la musique de Ferrat que certains poèmes d’Aragon sont devenus populaires. Il faudrait également relever les influences musicales que l’on perçoit tout au long de sa carrière. C’est regrettable qu’Alain Goraguer ne veuille pas témoigner en tant qu’arrangeur ! A ses débuts, Ferrat est influencé par Yves Montand, Francis Lemarque, Mouloudji, Georges Brassens bien sûr. Mais quasiment à la même époque, entre 1958 et 1963, Serge Gainsbourg travaille lui aussi avec Goraguer. Des chansons comme Saint-Canaille, Horizontalement ou la rythmique de Quatre cents enfants noirs semblent bien influencées, jusque dans les intonations, par le beau Serge. Réécoutons En relisant ta lettre pour en avoir le cœur net ! De même, comment ne pas parler du jazz, présent dans tous les disques de Ferrat ? Par exemple, Les touristes partis rappelle, dans son introduction, le Take five de Dave Brubeck. Le Kilimandjaro, Nous dormirons ensemble, Les lilas, Elle, Le cœur fragile ou encore Parle-moi de nous reprennent des ambiances jazz, pas loin de Nina Simone, Nat King Cole ou Cole Porter, sans oublier Sinatra bien sûr ! Ce Ferrat mélodiste n’est reconnu dans le livre que pour les chansons que Belleret apprécie. Mais pourquoi dénigrer parfois des chansons moins populaires, comme De Nogent jusqu’à la mer (qui n’est pas qu’une bluette jouée à l’accordéon) ? Comme Pantchenko, il n’apprécie vraiment pas le Ferrat 85, dont les textes ont tous été écrits par Guy Thomas (auquel Nos Enchanteurs rendait hommage ici). Là encore, je suis en désaccord car ce disque regroupe tout de même des bijoux comme Hospitalité, Comptine pour Clémentine, Viens mon frelot, Petit. Ne faut-il retenir de ce disque que Je ne suis qu’un cri et Les cerisiers, sublimes chansons au demeurant ? Du Ferrat 95, il dénigre tout autant l’arrangement de La complainte de Pablo Neruda, pourtant enjouée et largement inspirée de l’Amérique latine (Los Incas, Uña Ramos). Ferrat disait apprécier des chanteurs comme Cabrel, Souchon ou Goldman. Comment ne pas retrouver une évocation (involontaire ?) de ce dernier dans la mélodie et la suite d’accords d’une chanson de Leprest et Ferrat pour Francesca Solleville, Appelle-moi Luciole (écoutons Un autre chemin par comparaison) ? Comment ne pas faire de parallèle entre les arrangements du Ferrat 91 et ceux du Reggiani 91 ? Ferrat aurait pu chanter C’est marrant comme tout et Reggiani faisait allusion à Ferrat dans une très belle chanson de Lemesle et Goraguer, Le boulevard Aragon… Je pourrais poursuivre ces parallèles, ces correspondances poétiques et musicales en prenant le thème du camarade, avec les versions de Ferrat, Aznavour, mais aussi de Caussimon / Ferré (Mon camarade), jusqu’à la désillusion d’un Jean Guidoni (Je pourris camarade) ou d’une Solleville (T’as mal où, camarade ?) C’est ce qui manque aux biographies de Ferrat et celle de Belleret n’échappe pas à cet écueil.
Au même moment de la parution de ces différents livres, une chanson inédite de Ferrat sortait d’un coffre-fort des productions Temey : Dis-moi qu’as-tu fait du temps des cerises ? Le titre date de 1991, il était prévu dans l’album qui commence par Dans la jungle ou dans le zoo, mais il n’y avait plus de place, selon la version officielle, pour que cette chanson au vitriol y figure. J’ai personnellement une autre théorie, que Belleret n’a sans doute pas pu ajouter à son livre, l’inédit en question ne faisant l’objet d’aucune communication et d’aucune fuite avant sa sortie. Cette chanson s’adresse directement à l’une des idoles de Ferrat, Yves Montand, lequel avait copieusement engueulé au téléphone Guy Thomas pour l’avoir clairement visé dans Les cerisiers. Le disque Ferrat de 91 est paru un mois avant la mort de Montand, qui n’était déjà pas très en forme. Peut-être que Ferrat et Meys n’ont pas voulu en rajouter en sortant cette chanson sur le disque ? En 2020, cette chanson, qui pourrait s’adresser au peuple de gauche (ou ce qu’il en reste !), reste pourtant très actuelle…
Au demeurant et malgré ces remarques qui n’engagent que moi, le Ferrat de Belleret reste un bel ouvrage de référence, honnête dans sa critique et fort captivant à lire.
Jean Ferrat, Jean Ferrat, le chant d’un révolté, L’Archipel, mars 2020.
« Cette biographie, hélas non autorisée… » dit mon collègue Nicolas dans cet article. Et je dis tant mieux. Je n’ai certes pas une grande expérience en biographies, tant en qualité de lecteur qu’en celle de rédacteur. Mais je doute a priori de l’intérêt de tout biographie « autorisée » qui ne s’autorise que le récit officiel, celui que l’artiste ou ses ayants-droits ont décidé, validé. Celui qui arrange l’artiste et s’arrange de tout ce qui peut troubler l’image qu’il veut donner de lui. J’ai tendance à pense que toute bio officielle est d’emblée fausse. Ce qui ne veut pas dire qu’une non-officielle soit la vérité absolue : ça dépend du travail de recherche effectué, de l’honnêteté ou non de l’auteur, de son talent…
En tous cas, il me semble scandaleux que l’artiste, ses proches et ayants-droits bloquent l’accès à l’information pour le postulant biographe.
Quant au droit de citation (que je sache, plein de citations émaillent ce récit), c’est un sujet sur lequel je me suis juré de revenir sur NosEnchanteurs, particulièrement dans le cas de Jean Ferrat. Je tarde un peu à fournir mon papier : il viendra.
Une précision : le livre de Belleret sur Ferré, le titre est : Léo Ferré UNE vie d’artiste… (et non LA vie d’artiste)…