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Le cul entre deux chaises : Brassens en anglais, Cohen en français

Pochette de disque de Graeme Allwright (photo Claude Delorme)

Pochette de disque de Graeme Allwright (photo Claude Delorme)

Plus souvent à l’étranger qu’au sein de l’Hexagone (un comble pour quelqu’un qui s’intéresse à la chanson française me direz-vous. Et certes, j’en conviens, mais…), j’en suis venue à penser, ruminer, méditer sur la façon dont la chanson française qu’elle soit franco-française ou francophone de divers pays plus ou moins exotiques est reçue et perçue ailleurs que chez nous.

Quelques bribes de ces réflexions : Zaz est la nouvelle Édith Piaf (un fait dans les pays d’Europe centrale). À moins d’avoir eu un prof de français mélomane ou d’être spécifiquement intéressé par la chanson, Édith Piaf reste la référence ultime (un fait aux États-Unis). Un physique agréable et une énergie contagieuse sont la clé pour un ou une interprète qui veut s’en aller séduire les foules outre-terres (un fait universellement vérifié).

Mais allant de soi que la popularité de tel ou tel interprète ou telle ou telle chanson est intrinsèquement lié à son environnement médiatique, et que je ne saurais m’aventurer en ces terres de printemps capricieux, j’ai préféré m’en tenir au texte. In texto veritas.

Bon, et alors quoi, le texte ? Il ne change pas d’un pays à l’autre ! Et bien si, il peut, tout simplement par la traduction. Rare, certes, mais cela arrive. Je crois bien qu’Aznavour, par exemple, a eu ses chansons traduites dans plus d’une dizaine de langues. Lui-même polyglotte, il n’avait pas qu’une seule langue dans sa poche.

Les passeurs de chanson d’une langue à l’autre ne s’attellent pas à une mince affaire : il n’y a qu’à aller écouter J’aime le pierre et roule, magistrale adaptation de I love rock’n roll pour s’en convaincre. L’effet est certes plaisant, mais quelque peu autre…

(photo courtoisie du site de l'intéressé)

(photo courtoisie du site de l’intéressé)

À l’écriture de ces lignes, je pensais tout particulièrement aux titres de Brassens sortis en 2014 par le franco-américain Pierre de Gaillande (sachez que Brassens est traduit jusqu’en japonais, et que, ma foi, ça sonne fort brassenssien tout ça) ou encore, dans l’autre sens, à ceux de Léonard Cohen traduits et interprétés en français par Graeme Allwright.

Au premier abord, les versions d’une langue à l’autre semblent couler sans accroc dans nos oreilles, c’est le but : traduire les mots, mais surtout sonorité et cadence. Brassens adapté pour les Américains, par exemple, aurait pu nous suggérer une version édulcorée. Il n’en est rien, et entre les nouvelles rimes qui s’enchaînent scrupuleusement, c’est sans scrupule que de Gaillande n’épargne pas son auditoire de phrases encore plus crues («?lui dérider les fesses?» devenant par exemple «?spread open her [butt] cheeks?»). Là s’arrêtera l’analyse, car nous pourrions y passer bien plus de «?Quatre-vingt-quinze pour cent?» de ce papier !

Mais arrêtons-nous avant de nous quitter sur Demain sera bien, traduction par Graeme Allwright de Tonight we’ll be fine. Outre, le changement évident de « tonight » pour « demain » (rime oblige) – après tout, nous ne sommes pas à quelques heures près, il se trouve que l’ajout d’un simple petit M apostrophe – petit, tout petit pronom complément d’objet direct –, vient à métamorphoser entièrement l’ambiance de la chanson : « You kept right on loving » dit l’original. Oui, mais qui? Et bien non, pas lui. Mais d’autres amants (un thème récurrent chez Léonard). Or, en français, c’est lui qu’elle persiste à aimer, lui faisant perdre sa faim, car comme chacun sait l’être humain ne se nourrit que d’amour et d’eau fraîche. Même chose – ou presque – chez « Suzanne » : la version trash et exotique d’une Suzanne en loques de l’Armée du Salut pique-niquant de thé et oranges de Chine devient femme qui emmène notre bonhomme écouter les sirènes. Et nous voilà bercés par la mélodie, ignorants des méandres obscurs que Cohen farfouille et trifouille dans ses chansons. (Divul)gâcheuse ! que vous me crierez peut-être. Traître ! lancerez-vous qui sait à Graeme Allwright.

Cela ne nous empêchera pas de saluer l’immense talent qu’il faut avoir pour matérialiser de tels textes d’une langue à l’autre dans nos oreilles. Car ni Brassens ni Cohen ne sont de la menue monnaie, et c’est grâce à ces passeurs que ces derniers continuent à prospérer.

 

Graeme Allwright sur l’art de traduire Léonard Cohen :

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Pierre de Gaillande :

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Une exception américaine au tout-Édith Piaf (allergiques au rap, s’abstenir) :

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Une réponse à Le cul entre deux chaises : Brassens en anglais, Cohen en français

  1. Lapierre Jean 14 avril 2020 à 18 h 59 min

    Je me permets de mettre ma propre version de Suzanne ICI
    –> https://www.youtube.com/watch?v=99UrYf3nPe0

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