Marie Sigal, la traversée des miroirs
Nous avions découvert le talent dramatique de la toulousaine Marie Sigal il y a cinq ans lors de l’hommage « De Claude à Nougaro », avec les extraordinaires arrangements du quartet Pulcinella, où elle pulvérisait déjà Une petite fille, faisant de ce titre une bouleversante aventure urbaine et humaine. Nous avions admiré cette voix souple, expressive, qui semble lui obéir au doigt… et à l’oreille. Il faut dire que la toulousaine, fille d’un accordeur de pianos et d’une peintre, pianiste de formation au conservatoire, maîtrise le chant autant que la musique, sur scène comme à la ville où elle se fait passeuse de son art.
Inspirée tout autant par le répertoire classique que par la pop ou l’électro et le jazz, de Debussy à Feu ! Chatterton en passant par Bashung, cette audacieuse ne s’interdit rien. Un premier EP très électro de six titres dont trois en anglais, où déjà les titres brûlent, interpellent tel ce Murmure des sourds. Suivi d’un deuxième tout en anglais, The nature of, au folk onirique très ambiant, où elle explore les sonorités des instruments et de la voix, comme dans la prenante Under the waves. Mais Marie compose aussi des musiques pour le spectacle vivant, et spécialement la Danse, et pour l’image (1).
C’est aussi une passionnée d’écriture, avec un penchant pour la poésie surréaliste et le haïku, dont elle gratifie ses lecteurs quotidiennement en ces moments de solitude partagée, quand elle ne pianote pas dans son salon ou à son balcon, créations (2) ou chansons de son répertoire. « Faut-il que nous souffrions / Pour enfin entendre la rumeur du monde ».
Son dernier album, Les géraniums, composé lors d’une résidence aux Etats-Unis, pousse encore plus loin la recherche textuelle et musicale. Tout en français, il aurait aussi bien pu s’appeler la Beauté, du titre qui ouvre puis ferme l’album, remixé par Olivier Cussac en une épure pianistique. La voix y cascade sur les voyelles, l’expression est condensée et forte, traquant la beauté dans l’évidence de la clarté, ces nymphéas du Musée d’Orsay, si saisissants qu’ils la prennent « en otage ». Mais aussi dans l’horreur de la rue Bichat, où seule une main tendue la sauve : « Même dans l’ombre ici tu l’aperçois / Y a quelque chose, en toi là, qui s’e?ondre / De beauté ». Marie aime les contrastes, s’attache aux sentiments cachés, ne refoule ni l’obscurité ni la colère, surfe sur l’énergie qui la libère dans une sorte de transe musicale. Elle s’appuie sur le trio jazz Philippe Burneau, à la basse, Noam Lerville, à la guitare et aux chœurs, et Théo Glass à la batterie et aux samples électro, dans un rock synthétisé, torturé, complété d’un trio de cordes et du saxophone de Loïc Laporte. Olivier Cussac, véritable homme orchestre, multi instrumentiste qui a aussi co-composé cette chanson, complète les instruments, chante, siffle, arrange les sons et co-réalise l’album enregistré, mixé et mastérisé au Studio Condorcet à Toulouse.
Revendiquant une « chanson claire [et] une pop obscure », Marie a cependant choisi pour la pochette, contrairement aux précédents albums, un fond clair d’air et d’eau. On la voit telle Vénus sortant des ondes, dans un maillot couleur chair sous une robe manteau fleurie ouverte au vent, bien plantée sur ses rochers découpés, scrutant l’horizon peuplé d’oiseaux… A moins qu’elle ne danse, immobile entre des murs de parpaings qui l’emprisonnent, laissant cependant un espace de lumière, une voie de sortie. La clé est dans le clip… C’est qu’elle se sent par moment « Rien qu’une petite conne toute nue dans l’aquarium / Voilà / Tu sais je m’emprisonne et tous les soirs j’espionne / Sous le ciel les géraniums ». Ou la victime d’un homme dans on ne sait quel drame intime « Il a retenu la bricole il a bien serré / La sangle, le garrot de mes larmes profondes (…) Le bât blesse et la nuit ralentit ». L’émotion surgit de ces mots ramassés, « Confetti dans l’aurore qui pépie », les images se projettent : « Wagon lit Jour de pluie Un enfant s’est endormi ». Et la sensation d’être au cinéma, dans un film aventureux des années 70, s’accentue dans l’instrumental Vapeurs. Elle déploie d’ailleurs dans ses vidéoclips, aux scénarios aboutis, la même recherche esthétique et émotionnelle que dans ses chansons. Une sorte d’art total… qui s’effondre de beauté !
Marie Sigal, Les Géraniums (2019) (Khânopé / Microcultures / Kuroneko)
Le site de Marie Sigal, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, là.
(1) Cet extrait du documentaire sur la vie de Brice, vacher qui pratique l’estive dans une cabane au milieu des montagnes, est une belle expérience de confinement…choisi.
(2) Marie propose pendant le confinement de créer des chansons à partir d’une expérience de votre vie, événement, rencontre, émotion… Lui envoyer vos nouvelles par message personnel, courriel ou autre, voir sa page facebook.
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