Lise, Valentin, Vladimir : le plan de rêve à trois
7 mars 2020, Liège, chez Phil et Gene,
La salle qui accueille le spectacle est certes réduite. Le couple de doux dingues qui nous accueille, Philippe et Geneviève, férus de jazz comme de chanson française, a évacué table et canapé, disposé quarante chaises autour du coin de la pièce qui fera office de scène, prévu de quoi boire (on est en Belgique quand même !) et se sustenter après le concert… Que d’efforts, mais pour quel beau résultat ! Leurs quarante invités n’auront certes pas eu à regretter cette magnifique soirée de convivialité et de camaraderie.
Un cadre intime qui fut un merveilleux écrin pour le bijou de spectacle offert à notre curiosité. Un récital tout acoustique, sans amplificateur ni micro, avec juste deux petits projecteurs pour nous rappeler que, d’une certaine façon, nous sommes dans un théâtre. Deux voix et une guitare (assortie de temps à autre de son petit frère ukulélé). Une simplicité qui va droit au cœur.
Le concert a de toutes manières été conçu pour être interprété sans fioriture, dans les salons et petits lieux, devant un auditoire réduit. Plantons donc le décor et introduisons les personnages. Une table recouverte d’une nappe rouge comme la vie, quelques bougies qui dégagent une apaisante chaleur, une bouteille d’eau évoquant plutôt un flacon de vodka, deux chaises. Viendront y prendre place les Stone et Charden de la chanson à texte : Lise Martin, belle comme une madone de la Renaissance, et Valentin Vander, très beau aussi mais c’est moins mon genre. Tous deux sont venus nous jouer leur spectacle intitulé Presque un cri, consacré au poète-chanteur-comédien russe Vladimir Vissotsky.
On connaît le destin incroyable de cet artiste, décédé prématurément à 42 ans, usé par l’alcool. Immensément populaire dans son pays, même de son vivant alors pourtant qu’il lui était officiellement interdit d’exercer son art, il est devenu à titre posthume un artiste reconnu par ce même régime qui l’avait entravé toute sa courte vie durant. Son œuvre riche de centaines de morceaux reste cependant largement méconnue chez nous, hormis peut-être La fin du bal, dont la traduction-adaptation de Maxime le Forestier a été reprise par des chanteurs aussi divers que Nicolas Bacchus, Anna Prucnal ou Vadim Piankov. Saluons dès lors la salutaire initiative de notre duo de jouer les passeurs et de nous dévoiler quelques pans de cet impressionnant monument.
Dix-huit chansons composent le programme de la soirée. Les paroles de treize d’entre elles sont signées de Lise Martin et/ou Valentin Vander, qui ont réussi l’exploit d’adapter l’auteur maudit sans parler un mot de sa langue, en se fondant uniquement sur les diverses traductions existantes de ses textes. Un travail inspiré, qui – n’en doutons pas – respecte le propos de l’auteur initial, tout en le conformant aux exigences de la chanson française. Le résultat est brillant, restituant la parole désenchantée du poète moscovite autant que son exaltation de l’amour et de l’amitié, en un langage simple, riche en images poétiques, porté par des mélodies retravaillées de bout en bout.
De cette belle matière première, Lise Martin et Valentin Vander tirent un spectacle tout empreint d’émotion brute. Les voix des deux artistes, qui savent l’une comme l’autre varier leur chant et moduler leurs effets, se croisent, se répondent, se marient, s’embarquent en solo parfois pour mieux se retrouver au détour d’un vers, la douceur féminine s’alliant à la puissance masculine en une harmonie rêvée. Mention spéciale au magnifique morceau, point d’orgue du concert, Les chevaux indociles, chanté en duo avec l’option « poils qui se dressent pour l’auditeur ». Un court passage enregistré permet ensuite au public d’entendre ce titre interprété par Vladimir Vissotsky lui-même et d’être saisi aux tripes par cette voix rocailleuse et chargée de vie dépensée aux quatre vents. On n’en mesure que mieux le superbe travail d’adaptation accompli, qui s’est éloigné de l’inimitable version originale de l’œuvre pour en restituer pourtant, dans un registre plus chargé de douceur, l’essence émotionnelle.
Programmateurs de lieux intimistes et tenanciers de salons où l’on chante, le trio infernal Lise-Valentin-Vladimir n’attend que vous. Ne pas l’offrir à votre public serait presque un crime.
Presque un cri est de passage pour deux soirs à Paris, au théâtre de La Flèche, le jeudi 19 mars et le dimanche 19 avril 2020.
Le facebook de Lise Martin, c’est ici ; celui de Valentin Vander, c’est là.
Au moment de quitter les hôtes, une dame est venue nous trouver des larmes plein les yeux.
A l’époque, elle avait vu Vissotsky en concert.
Invitée à la soirée, elle n’avait pas fait le lien.
Au fil du spectacle, ses souvenirs sont peu à peu remontés à sa conscience.
Bel hommage au travail des artistes.
Philippe et Jean