Lily Luca, rendez-lui son peigne
Quand vous avez un tel objet entre les doigts, comment pouvez-vous imaginer un seul instant la dématérialisation de ce qu’indistinctement vous nommez musique et que j’appelle chanson. Regardez, touchez la pochette. Elle est tellement belle, bien conçue, le livret aussi, qu’on l’achèterait rien que pour ça. Ici, dès le tactile, c’est déjà du Luca : le choix du papier qu’à présent vous caressez. Cette police forte en caractère, qui n’est autre que sa calligraphie. Et ces dessins qui ont labouré le lino, ces encres… Ça, c’est pour l’emballage. Le reste c’est l’emballement.
Ce n’est pas le premier disque de Lily Luca. Comme on commence à la connaître, on se méfie. Avant de poser le disque sur la platine, on s’est enquis un peu du contenu en lisant le livret bavard, histoire de désamorcer avant de bêtement dégoupiller et de s’en prendre plein la tronche. Bon, qu’entend-t-elle par « peigner mon poney » ? La girafe, ok, je sais, mais là… « Je ne l’avouerai jamais / Car si quelqu’un l’apprenait / Ce serait trop scandaleux / Et je deviendrais l’un d’eux ». C’est pas grave, j’suis comme elle : j’suis Open.
Toutes les notes (guitares, percussions, pianos, contrebasse, viole de gambe et banjo) sont de Fred Thomas, sur des portées quasi enfantines quand au rendu. Ça fait musiques en apparence insouciantes, mais faut toujours de méfier de l’innocence de notre Lily : y’a presque toujours anguille sous roche.
Rien n’est offert facilement à nos oreilles chez Lily Luca, tout est à décoder. On peut ne pas posséder le trousseau de clefs, ou pas toutes les pièces, les chansons sont, certes mystérieuses, mais suffisantes. Les apprécier plus encore c’est en dénicher les tenants, les aboutissants.
Comme ce magnifique Matthieu : « Je pleus, je pleus, je pleus des yeux, un peu / Il pleut, il pleut, il pleut dans mes deux yeux / Je ne pleus pas de joie, je pleus parce que je / Que je suis triste un peu ». Mais ça, j’ai mon idée… Et cet autre adieu, celui aux âmes, qui n’a pas besoin qu’on le date : « Chacun se demandait comment / Panser les plaies des survivants / Les larmes et les cris… / C’était vraiment pas grand chose / Seulement quelques bouquets de roses / Qui sont venus fleurir les lieux du drame / L’adieu aux larmes… »
Sur un même ton, Luca chante anecdotes et vieux souvenirs : « Ça fait combien de fois que je me dis que je ne suis pas encore vieille ? » Quelques étonnements, des élucubrations… « Dans mon sommeil au bois dormant, c’est quand même un petit peu le bazar / Est-ce que c’est vos médicaments qui me font rêver des trucs bizarres ? »
Lily Luca ressemble plus que tout au titre de son précédent opus : Le charme impénétrable des artistes torturés. Torturés ? Si ces textes ne le sont pas… Torturé n’est d’ailleurs pas le mot. Mais bizarre, énigmatique, insolite, incongru, fantaisiste et cynique à la fois, avec des vrais morceaux de douleurs et d’émotions dedans. Ceci pour dire que quand vous écoutez du Luca, vous êtes sûr que ce n’est pas quelqu’un d’autre. Comme dit mon ami Patrick Engel, elle porte « tel un fier étendard une gaieté libre et hardie ». Laurel n’a pas dit mieux.
MICHEL KEMPER
Lily Luca, Laissez-moi peigner mon poney, Inouïe distribution 2019. Le site le Lily Luca, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit d’elle, c’est là.
Très en forme, à ce que je vois, hein..?!