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Jérémie Bossone, le héros magnifique

Jérémie Bossone au Petit-Duc 2020 ©Myriam Daups

Jérémie Bossone au Petit-Duc 2020 ©Myriam Daups

18 janvier 2020, le Petit Duc, Aix en Provence, co-plateau avec All.b

 

Je me suis toujours demandée l’effet que pouvait produire Bossone à la première rencontre sur scène, alors qu’on n’a jamais rien vu ni écouté de lui. Ce qui est le cas de beaucoup dans cette salle du midi où peu le connaissent. Peut-être un état de sidération, la passion ou le rejet, tant l’artiste est loin des produits formatés dont on nous lessive les oreilles. M’attendant à le voir en duo avec son frère Benjamin, une crainte s’est emparée de moi un instant. Bien vite dissipée dès qu’il a eu commencé. Jérémie Bossone, seul au milieu de son rond de lumière, droit, tendu derrière sa guitare taguée, avec cette voix à nulle autre pareille, tantôt douce, tantôt âpre, grimpant dans les hauteurs, occupe d’emblée toute la scène. Même immobile, la tension, la vibration qui en émane, les expressions de son visage sont déjà mouvement. La présence physique et musicale d’un Jagger, d’un Bowie, qui auraient lu tout Villon, Cervantes, Rimbaud, Brassens ou Ferré… Mixé à la moulinette du manga ou du jeu vidéo. La salle reste bouche bée, suspendue à ses lèvres. Sa guitare acoustique lui est orchestre de rock.

C’est Rien à dire  qui ouvre le bal. Aucune lassitude à écouter le doigt glisser sur la corde qui gémit, à se faire son cinéma d’un seul acteur, tellement éloquent pour nous dire tout ce qu’il n’a rien… à dire !  Cette profession de foi de tout artiste sommé de créer, l’angoisse de la page blanche de l’écrivain ou de la toile vierge du peintre, pas encore nourrie de son premier jus. On n’est guère inquiet pour Bossone, dont le cerveau est traversé à tout instant d’impressions, d’idées, de souvenirs, d’images… Oui, d’images ; le talent de Bossone est bien en premier celui-là, de nous conter des histoires, et de nous les faire voir imprimées dans notre imaginaire sans nul besoin de projection de films. Scénariste il est, poète, musicien sans limites ni barrières, comédien, artiste vivant, sautant tel l’acrobate de cirque. Ne s’interdisant rien, assoiffé de tout, et communiquant à son auditoire cet élan vital. Et déjà le public fait connaissance avec ce chant qui s’élève en longue ballade, sans refrain, montant en pression jusqu’à l’explosion finale, mêlant ambiances urbaines, triviales, relent de bars et de Mac Donald aux références littéraires. 

Qui se mue, dans La Tombe, peut-être son chef d’œuvre, en l’une de ses chansons-fleuve où l’émotion  culmine, avec cette tendresse, cette berceuse pour l’être humain dans sa mortelle vie, dans ce qu’elle a de glorieux comme de plus vicieux ou misérable. Pour celui qui dort là sous la pierre, avec l’anaphore : « Je fus », homme juste ou pire gredin. « Cette tombe était la sienne / En ce jour, oui, mais demain / Cette tombe ell’ sera mienne / C’est la ronde des humains ». Stupeur. Admiration.

Jérémie Bossone ©Anny-Claude Durbet

Jérémie Bossone ©Anny-Claude Durbet

Ou Le Cargo noir, ample fresque figurant déjà dans son premier album, Lili Perle. Qui commence tel le narrateur proustien à la recherche de son temps perdu : « Longtemps je me suis vu en haut / Je me croyais unique ou presque », pour s’embarquer vers les Fleurs mauvaises du Cargo Noir. Ou encore cette Scarlett, barmaid amoureuse d’un Clown lyrique, doutant de lui-même, « Pfff, ces artistes… », « Bahh… ces poètes…» « Allez, ffuiitt, whisky !En espérant qu’il l’emmèn’ra / Ce soir peut-être… ». Et ce numéro, en rappel,  de poivrot aussi ridicule que magnifique, perdu dans son Empire, noyé dans son Ricard : « Viens danser viens danser ».

La version solo acoustique est parfaite pour mettre en valeur le talent de comédien de l’artiste, ce qu’il fut dans un autre temps. Patricia, et  Playmobil  dédié à Brel et Dorémus – des gars qui n’ont pas perdu leur enfance – représentent le nouvel album en délaissant la légèreté de l’arrangement musical d’origine pour une profondeur inattendue : le regret des rêves et de l’innocence enfantines « Car les adultes, ça vit vieux / Sans élégance et rien qu’un’ fois », interprété tel une tragédie avec un spasme de sanglot sur le « Après j’me range », mais aussi l’espoir de l’amour « Tout au fond des nuits, tout au bout de mes routes / Il y a toi, cette étoile, un sourire sur mes doutes / Sur les baffes que je bouffe [...] Tous tes soleils ô Patricia ! »

Configuration idéale aussi pour une reprise de Barbara, cette fois-ci pas Gottingen, mais Mon enfance qu’il incarne magnifiquement, avec ce final murmuré suivi d’une seconde de silence du public. Respect : « Pourquoi suis-je venu ici / Où  mon passé me crucifie? / Elle dort à jamais mon enfance. » Ou pour cet inédit sur la déportation Cherokee lors du traité de New Echota, la Piste des larmes qui vit mourir en route des milliers d’indiens, avec « cette fleur [la Cherokee rose ] qui s’est élevée sur la douleur ».

Jamais, non jamais personne ne lui prendra son panache, « Même si nous sommes / Pris / Dans / La / Mélancolie ».

A suivre l’article sur All.b

 

Une bonne nouvelle : Jérémie Bossone est invité à revenir au Petit-Duc pour la sortie de son album en préparation, Le décembre italien.
Le site de Jérémie Bossone c’est ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit c’est là.

Demain 12 février à Gauchy au Festival des Voix d’hiver en coplateau avec Liz Cherhal.
En solo le 15 février à Saint Julien l’Ars et le 22 février à Paris au Connétable. Autres dates sur son site.

 

En juillet 2019 en duo à Gourdon, merci Alain Withier
La tombe
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Mon enfance (Barbara)
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3 Réponses à Jérémie Bossone, le héros magnifique

  1. André Robert 11 février 2020 à 9 h 23 min

    Magnifique article, à la (dé)mesure de l’artiste.

    Répondre
  2. Frasiak 11 février 2020 à 12 h 44 min

    Superbe chronique Catherine…
    Je suis « fan » depuis le premier jour où j’ai vu Jérémie chanter. Un grand !!!

    Répondre
  3. Michèle Sennet 12 février 2020 à 11 h 54 min

    J’étais au Petit Duc ce soir-là et c’était la première fois que j’assistais à un spectacle de Jérémie sans son frère. Même légère inquiétude vite dissipée et bonheur d’entendre en direct des chansons plutôt réservées à cette formule solo.
    Jérémie, ce fut également pour moi stupeur, sidération et totale adhésion quand je l’ai vu la première fois il y a bientôt un an à Viricelles lors du festival Echant’émoi. Ton article, Catherine, reflète fidèlement ce que j’ai ressenti. Bravo !

    Répondre

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