Les chansons tout feu, tout femme
La couverture du livre révèle son contenu sans rien omettre : « Les dessous lesbiens de la chanson, un livre composé à quatre mains par Léa Lootgieter et Pauline Paris, avec des illustrations de Julie Feydel, préfacé par Elisabeth Lebovici et Catherine Gonnard, postfacé par Hélène Hazera ». Pas de doute, le programme est clair ! Mais probablement sous-estime-t-on le plaisir de lecture qui nous attend…
Les dessous lesbiens de la chanson se présente comme une anthologie de la chanson lesbienne. Loin d’être exhaustif – qui le pourrait ? – , le livre entend, au fil d’un parcours de quarante chansons, nous faire découvrir le monde secret et interlope de la chanson de femmes. Divisé en quatre sections de dix titres chacune, tous interprétées par des voix féminines (même si la plume est parfois masculine), l’ouvrage analyse finement l’art et la manière de mettre en mots et en musique ces amours que la morale bien-pensante continue à juger sévèrement. Une approche didactique qui permet de relier entre elles des chansons de différentes époques et de souligner les ruses et astuces poétiques mises en œuvre pour ne pas appeler un chat un chat.
Ainsi, le chapitre Quand le portrait devient miroir regroupe-t-il diverses chansons-portraits, qui décrivent de l’extérieur un personnage, permettant à l’interprète de garder une distance vis-à-vis du sujet et de ne pas se dévoiler sur ses éventuelles préférences. Comme Jimy, chanson récente (2019) de la rappeuse Aloïse Sauvage ou Monocle et col dur (1993) de Juliette, élégante description du monde homosexuel de la Belle époque. Ou encore la section Quand les amours interdites tombent le masque aborde-t-elle les chansons qui, au-delà de leur narration, se révèlent être au final une confession intime de la chanteuse (De la main gauche, de Danielle Messia, ou Comme des princes travestis de Marie-Paule Belle…).
Avouons que l’analyse paraît parfois tirée par les cheveux, le second sens d’une chanson non-genrée ne devenant clair que lorsque l’on connaît les penchants de son autrice/interprète. Ainsi, Ostende de Gribouille, dont rien dans le texte ne permet de conclure que cette déclaration d’amour s’adresse à une femme. Ou la chanson de Suzy Solidor, Ouvre, d’un érotisme torride, dont les mots pourraient pourtant être prononcés par un homme sans que cela ne choque (Rémo Gary ne s’en prive d’ailleurs pas, lui qui débute souvent ses concerts par ce morceau). A l’inverse toutefois, le livre attire notre attention sur certaines chansons dont la signification profonde, pourtant évidente une fois les yeux décillés, nous avait échappé : Les puces, d’Isabelle Mayereau, La marinière de Hoshi ou Maman a tort, de Mylène Farmer, par exemple.
Les dessous lesbiens de la chanson est un ouvrage qui se déguste petit à petit et se savoure lentement. Il est évidemment conseillé, pour que la lecture soit aussi plaisante qu’instructive, d’écouter d’abord la chanson analysée, de se faire sa propre idée de celle-ci, du message que l’auteur a entendu faire passer, frontalement ou en douce, et d’ensuite découvrir les trois pages qui lui sont consacrées. On en appréciera d’autant mieux l’étude du texte, les témoignages, la remise dans le contexte et la courte biographie de l’interprète que les deux autrices du livre nous délivrent, dans une langue claire, simple et pertinente. Le passage préalable par l’écoute – facilité, si on le souhaite, par leur regroupement dans une playlist accessible par un QR code – est d’autant plus nécessaire que nombre de ces chansons ne sont guère connues, pas plus d’ailleurs que leurs interprètes souvent tombées dans l’oubli. Qui se souvient encore de nos jours de Nicole Louvier, Mick Micheyl ou Colette Mars ? Et si des Catherine Lara, Anne Sylvestre ou Barbara jouissent bien sûr de la notoriété, leurs chansons mises en lumière dans le recueil (respectivement Autonome, Petit velours et Clair de nuit) ne figurent assurément pas dans la liste de leurs tubes.
Par son sujet inédit, son approche documentée sans pédantisme, son ouverture d’esprit qui lui fait mettre en exergue aussi bien Colette Magny que le Club Dorothée, Les dessous lesbiens de la chanson est hautement recommandable. Source de plaisir, il permet à l’oreille férue de chanson française de découvrir de multiples trésors méconnus ou de réexaminer quelques titres plus célèbres sous un œil nouveau. Chacun complètera, le cas échéant, cette liste de chansons par d’autres pépites non évoquées : Ta reine d’Angèle, Anouchka de Suzanne, les chansons de Pomme ou de Maud Lubeck… De quoi remplir un tome 2 ?
Les dessous lesbiens de la chanson, Léa Lootgieter et Pauline Paris, illustré par Julie Feydel, IXe éditions. 212 pages, 20 euros. Sur Pauline Paris et les amours lesbiens, lire ici.
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