Bruit Noir, diptyque « Premier coup d’cœur dans le blog à ta sœur »
Partir, « Je bloque devant l’escalator / Je bloque / Et j’pense à mon fils » est le septième extrait de leur deuxième album, que nous confie le duo Bruit noir au nom significatif, l’auteur-interprète, Pascal Bouaziz, le musicien compositeur
Jean-Michel Pirès (batteur du groupe originaire), issus du groupe Mendelson, dont le dernier album, en 2017, Sciences politiques, a été chroniqué par Pol de Groeve. Des albums sans limites, où les textes semblent improvisés, rageux, dénonciateurs d’un monde qui empire, mais où se cachent parfois des pointes d’humour et de tendresse.
Entre les albums de rock de Mendelson, forts, désenchantés voire désespérés, et le duo resserré de Bruit noir, Pascal Bouaziz n’a pas hésité à faire le grand écart, des morceaux longs d’une dizaine de minutes des précédents albums, voire un opus de cinquante quatre minutes (Les heures, histoire désespérée d’une vie, deuxième du triple album de Mendelson, 2013 ), aux concentrés de chansons, mélodiques, habillées de lucidité et de douceur de son album Haïkus, publié en solo. L’être humain, la plus courte (une minute vingt neuf ), y fait l’éloge de l’amour qui rend, peut-être, plus humain.
L’album I / III (2015) de Bruit noir, parle de notre monde de fous, et il faut tout écouter. Depuis le choc de Requiem, la provocation de La province, la superbe chronique, cuivrée, tambourinée, du désamour dans Joe Dassin (qui n’est pas une chanson sur le susdit), les sombres dénonciations de l’Usine ou de Manifestation… On peut même l’écouter en concert.
Le numéro II de la trilogie commence par une mise en abîme, Le succès : « Le deuxième album est beaucoup moins bien que le premier, ils auraient mieux fait d’arrêter ». Ecoutez, mais écoutez tout jusqu’au bout. Ça dézingue pas mal dans le texte, des journalistes aux programmateurs, et il y a des noms… « Encore un album pour que dalle ! ».
La suite est à l’avenant, Paris n’est pas plus épargné que la province du premier album, égratignant longuement la lose de Daniel Darc au passage. Ni que l’Europe, ses idées qui ont mal vieilli, « En EPHAD, la belle idée ! » comme Jeanne Moreau ou Alain Delon. Avec le clin d’œil à Arno : « Ce serait vachement bien, qu’on soit quand même tous des européens… En Europe ! ». Ni que les collabos que nous sommes devenus dans une société soumise, infantilisée, par lâcheté ou par faiblesse, chantée comme une comptine enfantine. 1967, litanie en hommage à tous les intellectuels, artistes, réalisateurs de cinéma, est à la fois une satire du « c’était mieux avant», une dénonciation de notre époque de « discussions de cadavres sur des restes de momies », une tentative humoristique de se rassurer sur sa propre qualité, mais sans doute aussi une vraie déclaration d’amour à Pasolini. Tout comme à Romy, la pause douceur de l’album, archétype de la femme pour toute une génération, à qui sa propre compagne lui fait penser : « à part toi, mon amour, qui est une sorte de Romy aussi, pour moi ». Innovation par rapport au premier album, les titres sont reliés entre eux par des intermèdes, lambeaux de sons et de mots saisis comme par surprise dans le monde réel, faisant de l’album une errance dans une réflexion continue, douce-amère, sans que cela ne tourne jamais à l’insulte ou à l’imprécation, plutôt un persiflage mélancolique mêlé d’auto-dérision. Un voyage dans son vécu, dans le nôtre aussi, faisant remonter les souvenirs, jugeant sans compromission notre civilisation. Ce qui en fait la force.
On ne sort pas indemne de l’écoute d’un texte de Bouaziz. D’une voix grave et douce à la diction presque chuchotée mais impeccable, soutenue par une musique sombre, cardiaque, obsédante, répétitive, avec des dissonances, ou subtile, rythmée et vaporeuse, il se laisse aller à la plus entière introspection, misanthrope, glaciale, brûlante, et qui touche d’autant plus, si on la patience de l’écouter sans faire autre chose, qu’on y retrouve beaucoup de nos propres angoisses, de nos réflexions sur ce monde si chaotique, si perdu que nous vivons actuellement, et de la difficulté d’être un homme, un humain conscient. Bien sûr ces titres de près de dix minutes ou d’une heure ont peu de chance d’être programmés sur des radios qui s’attachent justement à nous distraire de la juste réflexion qui fait l’individu libre. Mais si vous avez un peu de temps, c’est à une séance d’auto-analyse que vous êtes conviés, allant au plus profond des émotions humaines, en sus d’une expérience sonore envoûtante.
Bruit noir, I (2015), et II (2019) sur III, Ici d’Ailleurs. Le site de Mendelson, c’est ici. Celui de Bruit noir, là. Ce que NosEnchanteurs a déjà dit sur Mendelson et Pascal Bouaziz, là.
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